En France, l’action stratégique, en tant qu’élan vital, n’a pas trouvé l’écho qu’elle mérite et nous commençons sérieusement à en percevoir les conséquences négatives. Si l’on se place au niveau des nations, la notion de puissance est aujourd’hui au cœur de la problématique de la mondialisation. Encore faut-il en préciser la teneur car une grande confusion règne encore dans les esprits. Beaucoup d’entre nous en sont restés à la définition de la puissance exprimée par la force militaire ou la capacité de conquérir des marchés. Cette vision simpliste ne correspond plus à la situation actuelle. Il est frappant de constater à quel point les nations occidentales n’ont pas intégré à leur raisonnement l’échiquier de la société de l’information. Le débat qui est en train de naître de part et d’autre de l’Atlantique sur l’existence des armes de destruction massive en Irak illustre bien cette confusion stratégique qui règne au sein même du clan de l’hyper puissance. L’équipe Bush a cru qu’en détenant la suprématie dans le domaine de l’information warfare et des moyens de communication planétaire, elle pouvait appliquer à la lettre un scénario de manipulation des opinions. Cette perception du fort au faible qui a pourtant déjà causé les dégâts que l’on sait lors de la guerre du Vietnam souligne la déficience de l’appareil politico-militaire américain dans son approche de la guerre de l’information. La légitimité d’une action ne se décrète pas, et encore moins ne s’invente. Elle est d’abord l’expression d’un rapport de force qui ne repose pas que sur des considérations militaires ou diplomatiques. Contrairement à ce qu’en pensent les membres de l’équipe Bush et l’entourage de Tony Blair, la supériorité de la force militaire et de la maîtrise des principaux leviers de décision politiques et économiques de la mondialisation ne suffisent pas pour garantir une légitimité dans cette guerre de l’information sur la menace représentée par les armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein.
Il existe un autre échiquier que les spécialistes du Pentagone n’ont pas voulu voir ou ne sont pas capables de voir, c’est celui des opinions publiques. Lorsqu’on légitime une intervention militaire contre un pays susceptible de menacer la paix mondiale dans des délais très courts, on se remet dans le cadre de la guerre froide dont le cinéma a rendu compte par des films de fiction comme The day after. Brandir l’effigie de l’apocalypse n’est pas un acte qui se gère comme une campagne de communication électorale. Les spécialistes américains commettent une erreur fondamentale en privilégiant le pilonnage informationnel sans intégrer les effets induits par les mécanismes de contrôle démocratique des pays occidentaux, ni les perceptions culturelles antagoniques dans les différents pays du monde où leur influence est contestée voire rejetée.
Le cas de la France est lui aussi significatif d’une certaine errance entre les considérations militaires, diplomatiques et économiques. IL est dommage que Monsieur de Villepin n’ait pas donné une suite opérationnelle à la démarche géoéconomique inspirée par Hubert Védrine qui avait enfin réuni une task force de groupes industriels afin de prolonger l’action diplomatique par l’action économique. Mais il semblerait qu’une fois de plus, le bon sens ne soit pas de la partie. La France est encore prisonnière d’une politique de l’urgence. A l’extérieur, il faut trouver coûte que coûte des marchés en Irak parfois en dépit de souhaits contradictoires des industriels et contenir les foyers de révolte africains. A l’intérieur, le bras de fer avec les syndicats mobilise toutes les énergies. Ce bref aperçu du quotidien gouvernemental bute sur des questions de fond actuellement sans réponse. Comment rester un allié des Etats-Unis en devenant un adversaire de fait de sa philosophie de développement et en contestant sa remise en cause du Droit dans les relations internationales ? Comment gérer le bug prévisible de l’Europe/puissance refusé par Washington, sachant que ce concept audacieux ne pourra se limiter éternellement à un jeu de patience ?
Devant ces blocages prévisibles et durables, la gouvernance française fait pour l’instant l’impasse sur la quatrième dimension de la stratégie à savoir la question informationnelle. Combien de crises politiques faudra-t-il pour dépasser le stade de la communication de crise ? Les cellules du Quai et d’ailleurs ont quelque de chose de pathétique. Elles me font penser à ces motards qui sillonnaient Paris pour aller porter les mauvaises nouvelles au général Gamelin. On se trompe de guerre. Mais pour s’en rendre compte, encore faudrait-il admettre qu’il y en ait une. Que ce soit sur le plan intérieur ou extérieur, nous avançons au coup par coup sans donner l’impression de maîtriser une stratégie globale qui devient de plus en plus urgente à définir. Dans un tel contexte, la France ne peut plus se satisfaire d’un texte aussi médiocre que le Livre Blanc sur la Défense paru en 1994 sous la Présidence de François Mitterrand. Il ne s’agit plus de se contenter de défendre mais d’anticiper et surtout de concevoir des stratégies de repli en cas de faillite du concept d’Europe/puissance. Ne devenons pas des Kautsky de la géopolitique. En souhaitant secrètement l’effondrement de l’empire sur lui-même, comme cet auteur marxiste avait jadis prédit la fin du système capitaliste, nous risquons de nous enfermer dans une stratégie du paraître qui ne trompera pas son monde très longtemps.
Christian Harbulot
Il existe un autre échiquier que les spécialistes du Pentagone n’ont pas voulu voir ou ne sont pas capables de voir, c’est celui des opinions publiques. Lorsqu’on légitime une intervention militaire contre un pays susceptible de menacer la paix mondiale dans des délais très courts, on se remet dans le cadre de la guerre froide dont le cinéma a rendu compte par des films de fiction comme The day after. Brandir l’effigie de l’apocalypse n’est pas un acte qui se gère comme une campagne de communication électorale. Les spécialistes américains commettent une erreur fondamentale en privilégiant le pilonnage informationnel sans intégrer les effets induits par les mécanismes de contrôle démocratique des pays occidentaux, ni les perceptions culturelles antagoniques dans les différents pays du monde où leur influence est contestée voire rejetée.
Le cas de la France est lui aussi significatif d’une certaine errance entre les considérations militaires, diplomatiques et économiques. IL est dommage que Monsieur de Villepin n’ait pas donné une suite opérationnelle à la démarche géoéconomique inspirée par Hubert Védrine qui avait enfin réuni une task force de groupes industriels afin de prolonger l’action diplomatique par l’action économique. Mais il semblerait qu’une fois de plus, le bon sens ne soit pas de la partie. La France est encore prisonnière d’une politique de l’urgence. A l’extérieur, il faut trouver coûte que coûte des marchés en Irak parfois en dépit de souhaits contradictoires des industriels et contenir les foyers de révolte africains. A l’intérieur, le bras de fer avec les syndicats mobilise toutes les énergies. Ce bref aperçu du quotidien gouvernemental bute sur des questions de fond actuellement sans réponse. Comment rester un allié des Etats-Unis en devenant un adversaire de fait de sa philosophie de développement et en contestant sa remise en cause du Droit dans les relations internationales ? Comment gérer le bug prévisible de l’Europe/puissance refusé par Washington, sachant que ce concept audacieux ne pourra se limiter éternellement à un jeu de patience ?
Devant ces blocages prévisibles et durables, la gouvernance française fait pour l’instant l’impasse sur la quatrième dimension de la stratégie à savoir la question informationnelle. Combien de crises politiques faudra-t-il pour dépasser le stade de la communication de crise ? Les cellules du Quai et d’ailleurs ont quelque de chose de pathétique. Elles me font penser à ces motards qui sillonnaient Paris pour aller porter les mauvaises nouvelles au général Gamelin. On se trompe de guerre. Mais pour s’en rendre compte, encore faudrait-il admettre qu’il y en ait une. Que ce soit sur le plan intérieur ou extérieur, nous avançons au coup par coup sans donner l’impression de maîtriser une stratégie globale qui devient de plus en plus urgente à définir. Dans un tel contexte, la France ne peut plus se satisfaire d’un texte aussi médiocre que le Livre Blanc sur la Défense paru en 1994 sous la Présidence de François Mitterrand. Il ne s’agit plus de se contenter de défendre mais d’anticiper et surtout de concevoir des stratégies de repli en cas de faillite du concept d’Europe/puissance. Ne devenons pas des Kautsky de la géopolitique. En souhaitant secrètement l’effondrement de l’empire sur lui-même, comme cet auteur marxiste avait jadis prédit la fin du système capitaliste, nous risquons de nous enfermer dans une stratégie du paraître qui ne trompera pas son monde très longtemps.
Christian Harbulot