Yukos-Sibneft : manœuvre sur l’échiquier pétrolier

Le contexte actuel pousse les grands groupes pétroliers occidentaux à s’étendre en Russie pour sécuriser leurs réserves en énergie. Selon certains analystes, la Russie va toujours avoir besoin des investissements étrangers dans le pétrole pour obtenir des capitaux et utiliser des technologies. Ces conjonctures font des groupes pétroliers russes autant de cibles potentiels pour les multinationales occidentales. En février 2003, le groupe BP-Amoco, qui a investi 6,75 milliards de dollars pour créer une société commune avec TNK, contrôle à présent un tiers du troisième groupe pétrolier russe. Cette pénétration étrangère dans un secteur stratégique de Russie a provoqué une réaction : la fusion de Yukos avec Sibneft.La fusion des groupes pétroliers russes
Yukos et Sibneft, respectivement deuxième et cinquième producteur russe de pétrole, sont contrôlés par des financiers, ce qui en fait des cibles de choix pour les groupes occidentaux. La fusion est donc une réponse pour éviter que Sibneft ne soit la prochaine victime après TNK.
Cinq ans après avoir annoncés une première fusion (jamais concrétisée) qui aurait débouché sur Iouksi, Yukos et Sibneft fusionnent aujourd’hui pour devenir « YukosSibneft ». L’addition de leurs forces va permettre à ce nouveau groupe d’atteindre une production quotidienne de 2,2 millions de barils, loin devant LUKoil (ancien leader) qui produit 1,5 million de barils par jour.
Cette nouvelle entité, que Yukos devrait contrôler 50 % et Sibneft entre 25 et 29 %, deviendra le premier groupe de Russie (pour le pétrole et le gaz) et le quatrième producteur privé de pétrole au monde derrière BP, Exxon Mobil et Royal Dutch Shell. Elle représentera le troisième groupe mondial en terme de réserve prouvée avec quelque 19,4 millions de barils par jour derrière Exxon Mobil et Shell.
Au terme de l’opération qui sera finalisée d’ici la fin 2003, la capitalisation boursière devrait peser environ 35 milliards de dollars. Cette fusion sera le plus important mouvement de concentration jamais réalisé en Russie, qui renforcera encore plus le poids de la Russie parmi les pays producteurs de pétrole non-membres de l’OPEP.


Les acteurs en présence derrière cette opération
Yukos a été privatisée en 1994 et est détenue à 61 % par le groupe Menatep que contrôle Mikhail Khodorkovski, considéré comme l’homme le plus riche de Russie qui possède également Rosprom.
Sibneft appartient à 87 % à un groupe d’investisseur : Millhouse Capital. Cette holding regroupe les principaux actionnaires de Sibneft et gère des actifs aussi différents que Roussal (aluminium), Aeroflot (aéronautique), GAZ (automobile), Ingosstrakh (assurance), Avtobank (banque)… Le principal actionnaire de Millhouse Capital est Roman Abramovitch, gouverneur de Tchoukotka dans l’extrême nord-est sibérien. Cinquième fortune de Russie, il serait proche de Tatiana, la fille préférée de Boris Eltsine, et allié à Oleg Deripaska (Ruskii Aliuminii) qui est marié à l’une des filles de l’époux de Tatiana. Ils sont ainsi tous les deux proches du clan Eltsine.
Dans le nouveau groupe, Mikhail Khodorkovski, actuel président de Yukos, prendra le poste de directeur exécutif tandis que Evgueni Chvidler, président de Sibneft, deviendra le président du conseil d’administration

Les bouleversements dans le secteur pétrolier en Russie
La Russie est le deuxième producteur de pétrole derrière l’Arabie Saoudite et cherche à augmenter ses exportations. C’est en effet là que réside un des grands paradoxes du secteur pétrolier russe : la production de brut a augmenté de 10 % en 2002 pour atteindre 379 millions de tonnes alors que les capacités d’exportation plafonnent quant à elles à 150 millions de tonnes par an.
Ces dernières années, LUKoil, Yukos, TNK et Sibneft ont exercer d’énormes pressions sur le gouvernement pour financer eux-même un oléoduc, même sans l’aide de l’Etat, pour augmenter leurs capacités d’exportation, mais l’Etat refuse toujours aux « maîtres du pétrole » la possibilité de construire leur propre oléoduc.
Le Premier ministre, Mikhaïl Kassianov, explique ce refus de privatisation qui reviendrait à abandonner la maîtrise des oléoducs et des exportations de brut, ce qui provoquerait une pénurie sur le marché intérieur. De plus, le système actuel prévoit un accès égalitaire aux tuyaux ce qui ne serait pas le cas des réseaux privés. En effet, tous les pipelines existants en Russie sont sous le contrôle de l’Etat via un monopole public : Transneft.
Ce bras de fer revêt également une dimension politique. La maîtrise des flux procure un pouvoir que le Président Vladimir Poutine ne veut en aucune manière perdre. Il peut grâce à cette maîtrise exercer un contrôle et des pressions sur les patrons du secteur, levier précieux pour les élections de décembre prochain…
Une solution semble pourtant émerger depuis qu’Igor Yusukov, ministre de l’énergie, a annoncé que le gouvernement avait donné son accord pour une étude de faisabilité d’un pipeline potentiellement opérationnel en 2007-2009 avec une capacité de transport de 80 millions de tonnes par an. Long de 1500 km, cet oléoduc relierait le réseau russe existant en Sibérie occidental au port de Mourmansk pour desservir les Etats-Unis. Cette voie pourrait ainsi satisfaire 10 % de la demande américaine.

AVS

Pour compléter ces informations, nous vous conseillons la consultation de nos dossiers précédents sur « Le réseau des oligarques russes » et « Les membres de l’URIE ».