La crainte de la haine mondiale : un phénomène récurrent dans la gestion de la puissance

Une vague éditoriale a mis en avant les contradictions du discours américain concernant la question irakienne et, plus généralement, dénoncé leur conception unilatérale des relations internationales. Dans cette production variée, un ouvrage se distingue par son approche moins strictement politique et militaire.


Ziauddin Sardar et Merryl Wyn Davies, Pourquoi le monde déteste-t-il l’Amérique ? Fayard, 2002, 283 p.

Pierre Hassner et Justin Vaïsse, Washington et le monde. Autrement, 2003, 170 p.


En effet, le livre de Ziauddin Sardar et Merryl Wyn Davies (Pourquoi le monde déteste-t-il l’Amérique ?) choisit résolument d’aborder la posture américaine contemporaine en décortiquant l’image que les Etats-Unis se font d’eux-mêmes. L’analyse s’attache conséquemment à défricher les champs psychologiques et culturels, symboliques et médiatiques.
Ce que les auteurs relèvent avec bonheur, c’est la structure d’un discours se protégeant activement de l’intrusion de l’extérieur, du monde environnant. L’une des clefs de compréhension de l’Amérique réside dans « l’ignorance bien informée », la capacité de faire disparaître aux yeux des citoyens ce qui n’est pas soi. D’où le jugement général que se forme le reste dudit monde : « Ce que détestent les gens en réalité, écrivent avec justesse les auteurs de l’ouvrage, c’est « l’Amérique », cette entité politique caractérisée par sa violence répressive, son double langage, le souci obsessionnel de ses propres intérêts, ainsi que par une naïveté qui exclut tout sens de l’Histoire et fait que le Soi se confond avec le Monde. »
Or, des relations internationales favorisant la coopération et la paix ne peuvent effectivement s’articuler sur une invasion économique et culturelle tous azimuts, exigeant en revanche que le territoire américain reste fermé aux autres, à leurs valeurs et à leurs productions. L’argument de la « destinée manifeste » ne tient pas : qui peut accepter que la « mission morale » des Etats-Unis se confonde avec l’arrachement aux autres nations de leur indépendance, de leur identité même. Approche d’autant plus dommageable qu’il existe des voix discordantes en Amérique, que beaucoup savent parfaitement que ce chemin est sans issue et que la bannière étoilée doit porter un message différent, et promouvoir un authentique échange avec le monde, en adoptant notamment une autre attitude aux Nations-Unies.
La vulgate de « l’empire bienveillant » de Robert Kagan et du soft power, chère à Joseph S. Nye, ne satisfera personne … A cet égard, il faut compléter la lecture de Sardar et Davies par celle du texte de Pierre Hassner et Justin Vaïsse (Washington et le monde). Davantage technique que le premier, il décrit minutieusement le paysage idéologique de la politique et de la stratégie américaine. Le « qui pense quoi ? » compose une typologie indispensable à l’analyse informée et pertinente. Des think tanks aux différentes combinaisons possibles sur l’échiquier politique (internationalistes libéraux, néoconservateurs hégémonistes, réalistes gestionnaires, souverainistes isolationnistes, , jacksoniens), les auteurs font une radioscopie fort intéressante de la matrice culturelle qui préside aujourd’hui à l’action internationale des Etats-Unis, en dépassant le clivage habituel, peu « percutant », opposant les démocrates aux républicains ...