Espace voué à connaître une influence croissante sur les rapports internationales, la francophonie est aujourd'hui un simple réseau de relations conventionnelles dont il est difficile de cerner la vision politique. Réduite à quelques rares échanges culturels, il convient de lui instiller une vraie ambition, un vrai projet afin qu'elle devienne une réalité vivante. Pour ce faire, il est nécessaire de rompre avec l'angélisme ambiant et d'adopter une stratégie de puissance qui implique trois conditions:
la France doit en être le moteur principal,
l’économie doit y trouver sa place et la Francophonie ne doit pas être en contradiction avec la construction européenne.
La France en première ligne
La principale faiblesse de la France ne réside pas dans son économie, ni même dans sa diplomatie ou son outil de défense mais dans ses complexes. Son peuple s’entredéchire sur des questions passées et ne semble connaître que les pages sombres de son histoire. Pourtant les étrangers, censés avoir subis ses sévisses, ne lui trouvent pas autant de reproches. Au contraire dans la plupart des pays du monde la France est admirée pour ses lettres, son art de vivre et sa culture politique. Il n’empêche que cette peur conduit la France à adopter une position de retrait quand les pays membres de la communauté francophone voudraient la voir jouer en première ligne. En osant enfin occuper cette place qui lui revient elle renforcerait assurément la cohésion et donnerait du sens à l’espace Francophone.
En effet, la France est le pays de l’espace francophone ayant le plus d’influence sur le plan des relations internationales. Ses dernières prises de position au sujet de l’Irak en sont la preuve irréfutable. Elle est également le seul membre du Conseil de sécurité de l’ONU. En s’investissant dans une politique francophone dont elle serait le principal inspirateur, elle pourrait donner une voie au plus haut niveau à tous les pays membres.
Par ailleurs, par sa simple présence, la France agit comme un liant et donne une cohérence à cet espace. En effet, pour bon nombre des pays membres le français est un élément essentiel de l’identité nationale. Au Liban et au Québec, par exemple, la langue française est revendiquée comme la gardienne de la liberté, comme un moyen de résister et d’exister. Mais sans soutien français, les pays membres ne voient pas l’intérêt de prolonger leur adhésion à une telle institution. Ils ont chacun une relation, une histoire particulière avec le pays qui leur a donné leur langue.
En occupant la place de chef de file, la France répondrait très probablement à une aspiration des pays membres dans la mesure où leurs intérêts seraient respectés. La coalition gagnerait en puissance et la France pourrait se reposer sur un réseau de relations sûres à l’heure où les alliances passées semblent fragiles (Union européenne, ONU, OTAN). Si les dirigeants français désirent poursuivre ce projet, il convient de montrer concrètement qu’ils y attachent de l’importance en commençant par accroître les apports financiers français.
La Puissance économique au service du rayonnement culturel
La globalisation ouvre une nouvelle ère dans l’organisation des sociétés. De manière générale, le politique s’efface au profit des intérêts économiques. Ce glissement vers une prééminence économique ne convient visiblement pas à la culture politique française. Pays du monarque absolu, des droits de l’homme et de l’Etat omniprésent, c’est une nation dont les stratégies politiques sont souvent guidées par des principes et des idéaux. La Francophonie telle quelle se présente aujourd’hui n’est par ce même manque de pragmatisme. Elle semble marquée par l'idée selon laquelle sphère publique et privée poursuivent des logiques opposées. Pourtant, si la diplomatie est un soutien indispensable à la promotion culturelle, la puissance économique est un vecteur non moins négligeable.
Comment expliquer que l’apprentissage de l’allemand soit souvent préféré au français dans le monde arabe alors que la zone est censée prioritaire pour la diplomatie française ? Certes le français demeure en première position mais les instituts Goethe concurrencent très honorablement les instituts culturels français, même dans un pays comme le Maroc.
Dans ces pays où la vie est rude et les études chères, les étudiants cherchent d’abord à apprendre des langues qui vont leur permettre de travailler. Or il semble que l’Allemagne offre plus de garantie à ce sujet. Les mêmes raisons expliquent l’attrait pour l’anglais. Les étudiants n’apprennent généralement pas une langue par amour mais par intérêt.
Il convient d’être autant que possible pragmatique et de se rendre à l’évidence : pour continuer à rayonner le français doit devenir une langue utile.
Il en a tous les atouts ; il suffit de réactiver le réseau francophone afin de constituer un espace d’échanges économiques dans lequel des coopérations étroites seraient créées : échanges d’étudiants, migrations organisées, transferts technologiques, exonérations de charges, etc. Mais pour durer la Francophonie a d’abord besoin de ressources qui doivent être recherchées dans les lieux de production de richesse, à savoir les entreprises.
Attirer de tels investisseurs permettrait non seulement d’accroître les moyens de l’organisation mais surtout de la dynamiser, de lui donner un réel pouvoir et plus de légitimité. En effet pour que des entrepreneurs s’investissent dans la francophonie ils doivent y trouver un intérêt. Il se traduirait par des avantages fiscaux, des exonérations, des relations privilégiées avec les Etats.
A l’heure où les entreprises européennes sont à la recherche de nouveaux marchés, on peut supposer qu’il y va aussi de l’intérêt des entrepreneurs de participer à l’élaboration de cette espace économique francophone. En Afrique, où l’économie semble condamnée à la léthargie, l’émergence de marchés viable peut être suscitée par l’action combinée d’une structure publique puissante et des entreprises. En Amérique du Nord, le Québec pourrait devenir une plate-forme de pénétration des marchés pour les entreprises des pays membres.
Un espace francophone où les échanges économiques seraient intensifiés par l’impulsion politique et en même temps par les entrepreneurs gagneraient inévitablement en puissance. Il bénéficierait d’une relative indépendance et ferait le jeu d’un monde multipolaire ainsi que le souhaite de nombreux dirigeants francophones.
Il ne s’agit pas pour autant de sacrifier la culture à l’économie. Les débats engagés sur les brevets et sur le cinéma de production française doivent être poursuivis, mais au lieu d’opposer culture et économie il convient de les associer pour mener une même politique de Défense.
La Francophonie complément de l’Europe
Du point de vue de la politique extérieure et de la stratégie un tel projet ne serait viable que dans la mesure où il ne s’opposerait pas à la construction européenne mais viendrait en complément.
Dans un recueil écrit publié par l’Institut Montaigne intitulé « La sécurité extérieure de la France face aux nouveaux risques stratégiques » (sous la direction de Nicolas baverez) est évoqué le concept d’ « autonomie stratégique » qui consiste à laisser aux pays membres de l’U.E la possibilité d’intervenir lorsque leurs propres intérêts les y conduisent.
Dans cette optique de Défense européenne la France léguerait son arsenal nucléaire à l’Union mais se réserverait le droit d’intervenir à tout moment en cas de menace. On peut imaginer alors que la Francophonie serait un cadre d’action privilégiés où la France interviendrait en dépit de l’Europe.
Cette liberté d’action ne rentrerait pas pour autant en contradiction avec les intérêts européens. La position diplomatique privilégiée qu’offrirait le réseau francophone pourrait servir également la politique européenne. La France y développerait les relations avec le continent et assurerait sa représentation notamment auprès des pays du tiers monde conservant ainsi un lien précieux entre Nord et Sud.
La création d'un réseau international vise soit à unir les peuples soit à unir les Etats. La forme actuelle de la francophonie sert plutôt les peuples que les relations internationales. Lors des dernières grandes crises, en Côte d'Ivoire et en Irak, il n'a jamais été question de solidarité francophone. Pourtant dans l'organisation d'une force de paix en Afrique de l'Ouest ou lors des tractations au Conseil de Sécurité de l'ONU, les pays francophones étaient au cœur des enjeux. Il est certain que s'il existait un sentiment de solidarité francophone ces conflits auraient connu une issue différente. La francophonie doit donc développer les liens entre états et économie afin d’établir une diplomatie et des marchés communs qui lui permettront de devenir un véritable pôle d'influence.
V.V