La France doit garder le cap !

TRIBUNE
Aymeric Chauprade

La France a choisi la bonne voie en ne s'engageant pas derrière les Etats-Unis dans une guerre illégitime contre l'Irak. Quelques soient les véritables raisons qui auront guidé le président de la République dans ses choix, le résultat est bien là : la France a eu une attitude souveraine dans la crise irakienne ; elle a privilégié la sauvegarde des principes du droit international lequel est fondé sur le respect de la souveraineté des Etats ; elle a affirmé sa dimension de puissance mondiale, capable de réunir autour d'elle l'immense majorité des Etats et des peuples. En menaçant d'utiliser le veto, elle a, d'un coup, d'un seul, ôté toute possibilité de légalité à l'acte de prédation américain, rappelé à son peuple son pouvoir d'influence, et au monde entier que les Etats-Unis n'étaient pas la seule puissance mondiale.
La France a agi avec grandeur. Pourtant, des pressions s'exercent au plus niveau pour que notre pays renie sa position et s'associe à la nouvelle donne irakienne. Les chantres de l'Amérique triomphent dans les médias et exercent des pressions fortes pour que l'Elysée fasse œuvre de repentance auprès de l'Amérique. Toujours prêt à fouler au pied la patrie, à piétiner l'histoire, à livrer le pays en pâture aux marchands du devoir de mémoire, voilà de retour le parti de l'étranger.

On nous dit que les Américains auraient gagné la guerre, et que nous nous serions trompés de camp. Etrange argument. Faut-il être du côté du criminel lorsqu'il réussit son coup ? Car la guerre anglo-américaine fut un crime tout à la fois contre les souverainetés, contre le peuple irakien, et contre la vérité. En restant à l'écart de ce crime, en tentant même de s'y opposer, l'Etat a préservé l'honneur de la France. Il a abandonné à l'Amérique l'habit sanglant du Terroriste (adepte de la Terreur révolutionnaire) massacrant son Vendéen pour le « libérer de ses chaînes ». Combien d'enfants morts ou laissés à la vie sans membres auront été immolés sur l'autel de l'idéologie des Droits de l'Homme par le clergé sinistre des partisans du « devoir d'ingérence » ? Le monde entier a vu cet enfant auquel les bombes américaines ont enlevé toute sa famille et tous ses membres. Qui d'entre vous, Messieurs Madelin, Kouchner, Goupil, osera aller à son chevet lui dire qu'il a payé ainsi le prix d'un Irak démocratique ? Qui peut croire cela ? Cet enfant a été martyrisé pour satisfaire les appétits pétroliers des Etats-Unis, les intérêts du sionisme, et la folie meurtrière des idéologues de la démocratie.
Et que font, d'ailleurs, les médias pour qu'enfin la vérité éclate ? Souvenez vous, en 1998, trois jours de bombardements sur Bagdad et « seulement » 600 missiles lancés sur la capitale irakienne avaient tué plus de 3000 civils. Qui croira donc que cette guerre atroce lancée sur l'Irak aura fait moins de dix mille victimes civiles ? Guerre qui n'aura libéré que les pillards, qui aura abaissé l'unité nationale d'un pays et relevé le communautarisme.
L'Amérique a causé du mal à l'Irak et elle ne gagnera rien durablement. La résistance s'organise déjà. Chiite, soutenue par Téhéran. Baasiste à partir des réseaux qui se reconstituent en Syrie, en Jordanie. Aucun des pays voisins de l'Irak, y compris la Turquie, n'ont intérêt à ce que l'expérience d'un pays du Moyen Orient dirigé par les Etats-Unis ne réussisse. Chacun va soutenir la logique de résistance irakienne, anti-kurde pour les Turcs, islamique chiite pour les Iraniens, islamique sunnite ou nationaliste arabe pour les trois pays arabes voisins.
La France doit être patiente. Elle a plus à faire aujourd'hui à développer ses relations avec les réseaux de résistance irakiens qui se réorganisent qu'à se compromettre avec Chalabi et ses acolytes. Elle doit parier sur le long terme, et non tenter de récupérer des miettes qu'on ne lui donnera pas. La France n'est pas une épicerie. C'est une grande puissance, de dimension mondiale et morale, et dont le rang économique (bien qu'affaibli par de longues années de socialisme) reste élevé. Une nation qui a plus de 1500 ans d'histoire derrière elle, doit être capable de voir loin devant elle et d'attendre un changement de régime en Irak. De faire comme la Chine qui se développe discrètement et donne rendez vous au rival américain en 2030. L'une des forces que le gouvernement des Rois de France avait, c'était cette patience et cette longueur de vue. Hélas, la démocratie est faite d'élections, de sondages, donc d'immédiateté. Nous avons à craindre que le chef de l'Etat soit sensible aux arguments de ceux qui le pressent de retourner à tout prix à Bagdad et de légaliser ainsi le forfait anglo-américain.

La France doit dès à présent travailler avec le peuple irakien, sur le plan culturel notamment qui ne doit surtout pas être abandonné aux Anglo-Saxons, mais elle doit rester cohérente sur le plan politique. L'Irak est occupé, et nous devons le rappeler sans cesse, ne pas reconnaître un gouvernement issu de cette situation d'occupation, continuer à nous battre pour le retour des inspecteurs de l'ONU qui prouveront alors ce que les Etats-Unis ne veulent pas voir éclater au grand jour : qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive.
Contrairement à ce que les médias affirment, la popularité de la France en Irak atteint des sommets. La société irakienne éduquée, qui formait l'ossature de l'Etat et du régime est encore là, et attend un retour de la France, sans compromission politique. Les Français doivent revenir à Bagdad, pour y travailler main dans la main avec les Irakiens, pour témoigner de la réalité de cette guerre, des conséquences et du verrouillage de la situation politique. Le parti Baas a été interdit. Cela signifie que seul les partis communautaires et le Parti communiste sont autorisés. Et cela crée un besoin d'arbitrage américain évident. C'est l'idée même de la cohésion nationale irakienne qui n'est désormais plus politiquement représentée !

Sur le plan international, la France va sans doute être la cible des Etats-Unis qui chercheront à l'isoler. Ne nous faisons guère d'illusion sur l'axe Paris Berlin Moscou. Trois puissants centres nationaux ne font pas un centre impérial. L'alliance de circonstance était nécessaire. Mais l'Allemagne va certainement revenir à son atlantisme structurel depuis 50 ans. C'est en Afrique, dans le monde arabe, vers l'Asie, que la France doit diversifier ses appuis, renforcer ses liens. C'est toujours ainsi qu'elle a été forte, en diversifiant ses liens et non en se faisant otage des logiques impériales européenne ou transatlantique. Je l'ai souvent écrit : l'Europe intégrée mène, mathématiquement, à Washington. L'atlantisme est dominant dans l'Europe élargie à 25. Nous n'avons donc rien à attendre de l'européisme.

Les Français doivent savoir que la France va subir des coups, à l'intérieur et à l'extérieur. Les ennemis extérieurs ont des relais intérieurs qui se font déjà entendre. Notre peuple va devoir être soudé. Nos voix vont devoir s'élever fortement pour que le gouvernement de la France tienne le cap. Maintenant, la France est en guerre politique contre la logique d'empire qui a juré sa disparition. Derrière l'apparence trompeuse d'un printemps calme, le pays est entré dans de longs mois de guerre politique contre l'Empire. Les mâchoires de l'Empire sont puissantes, mais l'étreinte finira par faiblir si nous restons unis. De nombreux empires ont voulu dissoudre notre pays, depuis 1500 ans, aucun n'y est parvenu. La volonté de nos Rois et leur intelligence politique nous a préservé de la disparition. Que chacun donc soit convaincu de la mission qui est la sienne, à l'heure où les meutes de la chasse américaine hurlent aux portes du château français.


Aymeric CHAUPRADE

Professeur de science politique, et rédacteur en chef de la Revue française de géopolitique, il vient de publier Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Paris, Ellipses, 2e éd, 960p. et (sous sa direction) Géopolitique des Etats Unis, Ellipses, 320p.