Régionalisation de l'Europe : le plan final

Le lundi 17 mars 2003 est une date historique dans l'histoire de France. En effet, le Congrès (l'Assemblée nationale et le Sénat) se réunit afin d'inscrire dans la constitution la décentralisation. Cette dernière pose les premiers jalons qui vont permettre l'émancipation politique des régions françaises au profit d'une autorité supranationale. Le gouvernement français est en train de mettre l'organisation interne de la France au diapason de la future constitution européenne qui doit, sous l'égide de Valéry Giscard d'Estaing, voir le jour en 2004. En réalité, sous l'action des instances européennes, c'est toute l'Europe qui se fragmente. Une véritable révolution géopolitique s'annonce. Dans cette affaire, la France est sur le point de basculer.
Pour vous apporter un éclairage et des pistes de reflexions sur ce sujet, nous publions un article de l'historien Pierre Hillard. Vos réactions sur ce débat sont, comme toujours, les bienvenues.
La rédaction.

Désormais, le masque est tombé. Il n’y a plus de doutes. Les projets de remaniement complet en faveur d’une Europe des régions élaborés au lendemain de la chute du mur de Berlin - même si beaucoup d’éléments existaient auparavant - prennent leurs contours définitifs et annoncent une véritable révolution géopolitique. Comme le présente la carte ci-jointe, le continent européen est à présent éclaté en une multitude de régions. Beaucoup d’entre elles sont des créations artificielles et seront dans l’avenir regroupées voire fusionnées. Indirectement, cela indique que d’autres modifications sont à prévoir.


En attendant, un petit rappel sur l’origine de ce document est nécessaire. Celui-ci a été conçu au sein de l’ARE (l’Assemblée des Régions d’Europe), institut qui a vu le jour en 1985 à Strasbourg à l’initiative des Français, des Espagnols et des Portugais. Mais mal organisée, l’ARE fut reprise et réaménagée en 1987 par les Allemands, ou plus exactement par l’équipe gouvernementale du Land du Bade-Wurtenberg. D’une certaine manière, les autorités politiques allemandes, qui ne s’étaient pas vraiment intéressées à cet organisme à ses débuts, prirent le train en marche. Mais force est de constater qu’elles ne restèrent pas au stade du wagon-lit. Sous l’égide de Heinz Eyrich, les statuts de l’ARE furent fixés à Mannheim en 1992. L’essentiel de cette refonte fut de donner le maximum de compétences à la commission I - sous direction germanique - en charge de promouvoir le fédéralisme et le régionalisme.
Au sein de cette commission, des groupes de travail en charge de la protection des minorités et animés par des représentants basques, catalans ou frioul-vénitiens accélèrent la promotion du régionalisme identitaire.
C’est donc du sein de cet institut en liaison avec tous les autres instituts européens (Comité des régions, Conseil des communes et des régions d’Europe, ...) qu’émane cette carte qui fixe le but final à atteindre.

Qu’annonce-t-elle donc ?
D’abord, elle souligne d’une façon claire que tout a été préparé d’avance. Toutes les discussions officielles sur les thèmes de l’élargissement de l’Union européenne à l’Est et de la primauté donnée aux régions ne servent qu’à préparer les opinions publiques sur des sujets qui ont été agencés, ordonnés et réglés depuis belle lurette.
Ensuite, elle annonce la fin définitive de l’Etat-nation. L’octroi d’une autonomie politique aux régions dépendant directement des autorités supranationales de Bruxelles met fin à l’existence étatique des Etats.
Comme nous le présentions dans le Balkans-Infos n°72, la mise en forme d’un code civil européen sous l’égide du juriste allemand Christian von Bar (voir recueil Dalloz du 25 juillet 2002) se substituant aux codes nationaux s’explique puisqu’elle épouse cette Europe fédérale des régions. Enfin, les récents débats sur l’intégration ou non de la Turquie dans l’Union européenne (UE) sont en réalité vains, car il suffit de regarder la carte, la Turquie est déjà intégrée à l’UE (comme les Etats du Caucase ou encore une Russie régionalisée dont la frontière à l’Est s’étend vers la Sibérie) et éclatée en quelque 70 régions.
Sachant que l’ethno-régionalisme, promu par les instances européennes, permet l’épanouissement des groupes ethniques dans un cadre politique, les Kurdes de Turquie vont pouvoir s’en donner à cœur joie pour se détacher d’Ankara ou du moins pour réclamer une forte autonomie. Ils pourront alors profiter du passage sur leurs territoires des oléoducs venant de la Mer Caspienne. Sans doute, leurs coreligionnaires vivant en Syrie, en Iran et surtout en Irak, dans des zones riches en pétrole, manifesteront leurs souhaits de rejoindre leurs frères de sang. Bien des troubles sont à prévoir dans cette zone car tout cela suppose la remise en cause des frontières ou du moins la prise en compte des revendications de ces populations.
L’UE risque d’avoir en permanence un chancre - sans compter les flux migratoires - à la frontière où naissent, dans cette vaste région montagneuse (véritable château d’eau), l’Euphrate et le Tigre. Comment réagiront alors les Américains qui souhaitent également contrôler cette zone ?

Il faut se rappeler que les projets d’extension de l’OTAN ou de l’UE à l’Est sont anciens. Quelques mois après la chute du Pacte de Varsovie, le Secrétaire d’Etat James Baker, en juin 1991 à Berlin, déclarait : « Notre objectif est une communauté transatlantique allant de Vancouver à Vladivostok ». Ces propos furent à nouveau confirmés après les événements du 11 septembre par Elisabeth Jones, chargée des relations eurasiatiques dans l’administration de Bush Junior, qui confirmait que l’OTAN avait pour objectif de s’étendre en Europe de l’Est, au Caucase et en Asie centrale jusqu’aux frontières de la Chine.

A nouveau, et d’une manière encore plus précise, un représentant républicain, en charge des problèmes de sécurité et proche de la Maison Blanche, a remis au gouvernement allemand en octobre 2002 une véritable feuille de route pour l’extension à l’Est de l’UE et de l’OTAN (Cependant, la crise irakienne au sein de l’Alliance atlantique pourrait bien modifier le fonctionnement et l’existence de cette organisme). Selon le Financial Times Deutschland du 24 octobre 2002 (propos qui n’ont pas été démentis par la suite), l’objectif « d’une Europe libre et unie » doit s’articuler selon les modalités suivantes. Après l’intégration de 10 Etats en 2004 à l’UE (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte), il a été décidé par les autorités américaines que les pourparlers d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN devraient commencer en 2004, suivis de la Serbie en 2005. Pour 2007, la Croatie et l’Albanie devront suivre. Enfin, ce haut-représentant anonyme américain souhaiterait voir la Turquie adhérer à l’UE pour 2007. Selon les termes mêmes du Financial Times Deutschland : « L’intégration complète des Balkans et de l’Ukraine dans les institutions euro-atlantiques doit être achevée pour 2010 ».
On constate que cette extension à l’Est de l’UE rend pour l’instant service aux Etats-Unis.

En première approche, la fragmentation du continent européen en régions comme l’indique la carte ne peut que convenir aux objectifs américains selon le vieil adage « diviser pour régner », mais jusqu'à quand ? En effet, l’Allemagne bénéficiant d’une unité culturelle restera un bloc compact (en comptant les éléments autrichien et suisse alémanique, voir Balkans-Infos n°66) à la différence de la France, des Balkans ou de la Turquie. Le seul problème résidera alors dans la répartition des rôles entre les mondes anglo-saxon et allemand. Pour le maintien de l’équilibre actuel, il serait nécessaire que Berlin continue d’accepter d’être le premier vassal de Washington en Europe. Mais compte tenu que l’Allemagne calque sa spiritualité politique sur le continent (fédéralisme et ethno-régionalisme), elle est en mesure d’imposer plus facilement ses volontés malgré ses problèmes économiques et démographiques (qui sont liés d’ailleurs). Or, les Anglo-Saxons n’ont jamais accepté dans le passé l’hégémonie complète d’un Etat en Europe, fût-ce la France de Napoléon Ier ou l’Allemagne d’Hitler. Le tout est de savoir si l’Allemagne ne sera pas prise, une nouvelle fois, du désir d’être calife à la place du calife selon le bon vieux « principe d’Iznogoud ».

En tout cas, l’éclatement de l’Europe et la préparation d’une constitution fédérale européenne sous l’égide de Valéry Giscard d’Estaing ont pour objet lointain d’emboîter « l’expression géographique européenne » à une cité mondiale. Ou plutôt, une vaste fourmilière dont les membres n’auront plus conscience du pouvoir diffus qui les manipule.
Déjà les premiers jalons se mettent en place.
En effet, il faut bien garder à l’esprit que les dirigeants européens poussent à cette intégration mondialiste. Parmi tous les instituts européens, le Conseil des Communes et des Régions d’Europe (le CCRE) joue un rôle majeur. Avant même de citer le nom de son président et de révéler ainsi la duplicité du personnage, nous devons rappeler le fait suivant. Le CCRE est à l’origine de la Charte de l’autonomie locale dont les prémices ont été exposés dans un rapport intitulé « Les institutions régionales en Europe » de l’Allemand au nom bien français, A. Galette. Cette charte accélère la fragmentation de l’Europe dans les domaines politiques, économiques et ethniques. Or, le vice-président du CCRE, l’Allemand Heinrich Hoffschulte, est en même temps président d’un groupe de travail à l’ONU qui élabore une charte mondiale de l’autonomie locale en coordination avec les Associations Mondiales des Villes et Autorités Locales (le CAMVAL). Cette élaboration se fait aussi en liaison directe avec des instituts mondialistes qui fleurent bon les films de science-fiction comme, par exemple, la Fédération Mondiale des Cités Unies (le FMCU). Dark Vador a sûrement sa place dans ce dispositif. Plus sérieusement, quoique, il s’agit d’harmoniser ce principe mondial avec la Charte de l’autonomie locale européenne. Comme le rappelle avec netteté leurs promoteurs : « La nécessité de développer des lois et des règlements nationaux qui précisent clairement le rôle et les responsabilités des pouvoirs locaux vis-à-vis des gouvernements nationaux et qui mettent en place une décentralisation effective et une véritable démocratie locale, qui s’appuient sur les principes d’autonomie, de subsidiarité et de proximité, a été également soulignée. Dans ce cadre, il a été recommandé, que l’expérience acquise au cours de la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale, serve de base à la définition des principes-clefs du cadre constitutionnel ou légal d’une charte mondiale afin d’établir des systèmes démocratiques de gouvernement local ».

Finalement, nous avons le vice-président d’un institut européen (le CCRE) qui passe à la vitesse supérieure pour finaliser à l’échelle mondiale un idéal ardemment défendu par de très hauts penseurs en des termes suivants : « Le monde doit être unifié dans ses régions avant d’être unifié en une seule entité ». Dernière précision, le président du CCRE s’appelle ... Valéry Giscard d’Estaing.

Article reproduit avec l’aimable autorisation de Balkans-Infos.

Pierre Hillard, auteur de « Minorités et régionalismes, Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe », aux éditions François-Xavier de Guibert.