Un très bel article de nos confrère de Vigirak daté du 16 mars 2003. La première victime de la guerre, disait Churchill, c'est la vérité. C'est aussi la logique.
Quelques sophismes délirants relevés le même jour dans la presse interventionniste.
Dans quelques heures, peut-être même entre le moment où est rédigé ce texte et celui où il sera mis en ligne, la guerre d'Irak sera quasiment ouverte. Les Etats-Unis ont renoncé à trouver une majorité au Conseil de Sécurité, comme le montre leur rejet insultant de la proposition chilienne (pourtant : trois semaines de délai !) et la façon dont ils traitent leur allié britannique. Il semble également que l'U.S. Army préfère accélérer le déclenchement de l'offensive, quitte à se passer du soutien de Turcs qui jouent visiblement la montre.
Bref, quand vous lirez ceci, vous n'aurez sans doute plus très envie de sourire.
Je ne résiste pas néanmoins à la tentation de clore le bêtisier d'avant-guerre par trois perles.
La première est un article du Times de Londres daté du 14 Mars « Flanking strategy ». L'auteur y développe la thèse suivante : tout est de la faute de la France et de son annonce qu'elle n'accepterait aucune résolution valant ultimatum. Ce « veto déraisonnable » (faudrait-il considérer la France comme une incapable majeure ?) pourrait être dépassé, même s'il bloque la possibilité de vote d'une résolution. Il suffirait de retirer la proposition de résolution ou d'ajourner le vote sine die. On pourrait alors obtenir une « déclaration présidentielle » qui « constaterait » que la majorité des membres du Conseil de Sécurité soutiennent la position anglo-hispano-américaine. Cela établirait un « majorité morale » (vous avez compris ? moi pas !).
Mais, réfléchit une seconde le journaliste, si la Guinée (qui préside actuellement le Conseil) ne marchait pas ? Peut-on faire confiance à des Africains francophones de surcroît ? Pas grave ! Il suffirait d'envoyer une lettre ouverte au Secrétaire Général des Nations Unies dans la ligne de la lettre des huit Européens, puis des « dix de Vilnius ». Conclusion totalement orwelienne de l'article : « les chances d'une perspective de paix ont été systématiquement sabotées par l'intransigeance française et la belligérance irakienne »
Nous suggérons au Times de développer cette intéressante méthode juridique : remplacer les élections législatives par la proclamation de la majorité morale et les réunions du conseil de sécurité par celles du Comité de rédaction du Wall Street Journal et du Times.
Dans le Washington Post du 14 Mars (le journal qui a fait tomber Nixon est maintenant passé aux faucons, comme le savent les lecteurs de Vigirak), c'est Joseph S. Nye qui développe sa théorie. Nye, doyen de l'Harvard University's Kennedy School of Government et l'inventeur du concept de « soft power » très à la mode dans les années 90. C'était la capacité d'amener les autres à « vouloir ce que vous voulez » et ce « sans carotte, ni bâton », précisait-t-il. Il s'agirait tout à la fois de la capacité d'attirer, de gagner des amis, et de la façon de créer le sentiment de la légitimité des actions entreprises par les U.S.A. C'eût été, en somme, le troisième pilier de la puissance américaine, à côté de la force militaire et de la puissance économique.
Mais cette fois le soft power de Nye se heurte à un fait « hard » : l'article 51 de la Charte des Nations Unies qui interdit les guerre préventives (ou plutôt préemptives pour reprendre le vocabulaire des stratèges U.S.). Que faire ? Il suffit de changer les règles et de changer la Charte pour y intégrer le principe de « guerres préventives multilatérales ». Elles seraient, par exemple destinées à prévenir le péril terroriste ou celui des Armes de Destruction Massive. Mais attention, le doyen Nye est un vrai démocrate, partisan des droits de l'homme. Il exigerait des critères « stricts » : imminence du danger, efficacité probable de la guerre, emploi de moyens proportionnés discriminant entre civils et non civils. De cette façon une vraie bonne guerre multilatérale ne pourrait se confondre avec une vulgaire guerre d'agression unilatérale. Le doyen Nye est un juriste pointilleux : on se sent rassurés.
Autre perle, qui nous fait moins rire, car censée émaner d'un intellectuel de valeur : un article du même jour d'Elie Wiesel dans le Miami Herald. Il y développe la dialectique classique du droit d'ingérence, version soft de la guerre préemptive : pour avoir la paix, il faut éradiquer le mal et le couper à la racine. Si l'Occident était intervenu à temps au Rwanda, un génocide aurait été évité… Enfin le survivant de l'Holocauste ose cet incroyable lieu commun : « Si l'Europe et les grandes puissances étaient intervenues contre les ambitions agressives d'Hitler en 1938, au lieu de l'apaiser à Munich, l'humanité se serait épargné les horreurs sans précédent de la Seconde Guerre Mondiale. Cela s'applique-t-il à la présente situation en Irak ? Oui ! »
En effet, la comparaison saute aux yeux entre la situation de l'Allemagne de 1938, au moment de l'affaire tchèque et celle de l'Irak. Le pays est soumis à embargo, depuis des années, ne contrôle plus la partie kurde de son territoire, est surveillé et bombardé sur la « no flight zone » (60% de son territoire), menacé par la plus grande armée du monde et parcouru en long et en large par des inspecteurs de l'Onu pendant que les satellites filment tout ce qui bouge et, enfin, il détruit ses missiles.
Suggérons une autre comparaison absurde au prix Nobel : la France devrait se conduire exactement comme les Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. Dès qu'il se sera écoulé trois ans de guerre et que notre flotte aura été détruite en rade de Toulon, nous irons libérer nos amis américains envahis par Saddam.
François-Bernard Huyghe