Les limites du concept de “charming War”

En 1939, lorsqu’ils déclarèrent la guerre à l’Allemagne, les Britanniques pensaient, selon les rapports de leurs services de renseignements, que celle-ci serait immédiatement suivie d’une révolte en Allemagne qui conduirait au renversement du régime nazi, et que la guerre serait terminée en quelques jours.
Downing street ne s’attendait qu’à une promenade de santé, une “charming war” comme aimait à la présenter Churchill. On sait 60 ans après à quoi conduirent ces mauvaises interprétations : à une Guerre Mondiale.

Trois jours après le déclenchement des hostilités par les forces américano-britanniques, la charming war à laquelle messieurs Bush et Blair nous avaient préparé n’a pas encore eu lieu.
La coalition pensait que la seule pénétration des forces sur le sol irakien suffirait à faire tomber le régime de Saddam Hussein. A J + 5, petit point sur la situation militaire en Irak.Une stratégie de refus de la bataille :

Prisonniers de leur opinions publiques qui n’accepteraient pas que cette guerre ait un prix trop élevé en vies humaines, les militaires de la coalition, malgré une incontestable supériorité, en sont à éviter les centres urbains. La prise des villes causerait, certes un choc psychologique recherché, mais sans doute de trop nombreuses pertes.
Ainsi, au cinquième jour de la guerre, alors que la ville d’Oum Qasr n’est toujours pas “sécurisée”, les villes de Bassora et de Nassyriah (qui protège semble t-il deux ponts sur l’Euphrate) ont été contournées.
Comment les stratèges du Pentagone peuvent-ils laisser derrière eux des poches de résistance dont on ne connaîtra le pouvoir de nuisance que lorsqu’elles se seront révélées ?
Foncer vers Bagdad sans s’assurer du contrôle de villes rencontrées pourrait bien être une erreur stratégique majeure de la part des forces américano-britanniques.
Peut-on imaginer un alpiniste poursuivre sa progression verticale sans avoir au préalable assuré les prises sur lesquelles repose le succès de son ascension ?
Refuser d’engager les troupes dans les combats, c’est prendre un pari bien risqué sur l’avenir.

La Turquie : Un cas “non conforme” et non envisagé.

Toutes les stratégies militaires étudient et développent plusieurs cas et scenarii du déroulement espéré de la bataille, et se doivent de tenir compte des “cas non conformes”, afin de pouvoir maîtriser une situation militaire et politique qui n’avait pas été envisagée “a priori”
; c’est actuellement le cas sur le front nord de l’Irak. Les Etats-Unis pensaient pouvoir disposer de 62 000 hommes qui auraient déferlé du Nord en direction de l’Irak créant ainsi un deuxième front. Contre toute attente, les Turcs font de la Résistance. Le cas du “Kurdistan” a sans doute été mal appréhendé par les analystes du Pentagone.

Privé d’un deuxième front qui permet à Saddam Hussein et à ses troupes les plus fidèles de se concentrer sur le front Sud et sur la défense de Bagdad, les Américains risquent de devoir faire face à des lendemains qui déchantent. Effectivement, les Turcs qui annoncent leur volonté de pénétrer dans le Nord de l’Irak (si ce n’est déjà fait), n’ont aucunement l’intention de se battre au sein de "la Coalition". Ce qui inquiète Ankara, c'est la menace d’un Kurdistan autonome et indépendant. Si ce qui les motive, est officiellement la sécurité des populations Turkmènes, c’est officieusement la maîtrise de la richesse pétrolière de Kirkouk et de Mossoul ...
Si les Turcs pénètrent en Irak, les Kurdes ont annoncé la mobilisation générale. Les Américains devront alors faire office d’arbitre entre les deux rivaux de ce théâtre d’opération secondaire. Une nouvelle guerre dans la guerre...
Pour éviter l’embrasement du nord de l’Irak, les Etats-unis devraient alors détourner en urgence une partie des forces militaires qui se dirigent actuellement vers Bagdad et les acheminer par aérolargages ou par pont aérien depuis des aérodromes récemment conquis à l’Ouest.
Si la situation s’enlise ou si les ponts aériens prennent trop de temps à se mettre en place, la voie terrestre pourrait bien constituer la dernière alternative des forces américano-britanniques pour ouvrir un front Nord. Il prendraient ainsi le risque faire traverser à leurs troupes des régions où les divisions de la Garde Républicaine sont positionnées.
On le voit, le refus de la Turquie d’octroyer aux forces américaines le droit de transiter par son territoire pour ouvrir un deuxième front met les Etats-Unis dans une position inconfortable. D’autant plus que l’Iran pourrait à son tour se mêler d’un éventuel conflit entre Kurdes et Turques.

L’hypothèse d’un front Ouest semble elle aussi très délicate tant la pression de la rue Jordanienne incite le Roi Abdallah à la prudence.


Pouvoir décider de l’issue de la guerre en se fiant à la supériorité des armes est un espoir jamais comblé

Bien sûr les Etats-Unis ont déployé une immense armada dans la région du Golfe (250 000 hommes, 6 Portes avions, bientôt 7, sans compter les 40 à 50 000 britanniques). Mais à la guerre, la supériorité des armes n’est qu’un des facteurs permettant d’assurer la victoire, en aucun cas il n’est le seul.
L’assurance avec laquelle le Pentagone affirmait que le régime de Bagdad s’écroulerait de lui-même nous prouve à quel point la préparation et les opérations de guerre psychologique n’ont pas trouvé l’écho escompté dans les populations et chez les cadres dirigeants du régime irakien.
Certains de leur victoire et pétris de conviction, les “Psyops” (opérations psychologiques) américaines se font depuis Fort Bragg en Caroline ou à Tampa en Floride, sans aucune considération pour les mentalités et les influences locales.
A l’époque où la France développait et appliquait une doctrine de guerre psychologique, les hommes qui la conduisaient se trouvaient aux avant-postes et non à l’arrière des troupes.
Les Etats-Unis, pour qui tout ce qui est extérieur à leur monde est hostile, semblent manquer d'une certaine finesse pour comprendre les subtilités de ce jeu. Pour preuve, en plein territoire Chiite, dont les populations, si elles ne sont pas Pro-Saddam, ne sont pas plus pro-américaine, les Marines ont hissé la bannière étoilée sur le premier puit de pétrole occupé. Les images furent diffusées à travers le monde !

On attend toujours la liesse des populations accueillant les boys avec des petits drapeaux et des fleurs.

Philippe Esclavier