Jean-Baptiste JUSOT a rencontré Kama Kamanda, poète et écrivain francophone.J.B.J :Monsieur Kamanda, vous qui êtes un écrivain poète francophone, quelle définition pouvez-vous nous donner de la francophonie ?
Kama :
La francophonie. Pour moi, la francophonie idéale, c'est le regroupement des femmes et des hommes qui partagent la même langue, c'est-à-dire la langue française, pour un idéal commun de liberté, de progrès, de solidarité, de justice et de fraternité.
J.B.J : Pourquoi retrouve t-on les idéaux que vous avez énoncés dans la francophonie mais non dans le monde anglo-saxon ?
Kama :
Il y a également ce type d'idées dans le monde anglo-saxon, peut-être différemment… Pour ce qui nous concerne, j'écris en langue française. Cependant, pour reprendre votre comparaison du monde anglo-saxon et de la francophonie, je souhaiterais que nous ayons cette même faculté qu'ont les Anglo-saxons, ou les Espagnols que l'on n'oublie trop souvent, d'élever nos écrivains de langue française qui contribuent à l'édifice de la francophonie. Il faudrait, à l'image des anglo-saxons, que nous soyons capables de porter haut, voir jusqu'au prix Nobel de littérature, nos écrivains et ce, sans parti pris racial, religieux ou idéologique. Voilà une francophonie à laquelle je souscris.
J.B.J : Concrètement, comment imaginez vous la francophonie ? Comme une communauté, un regroupement , une sorte de Commonwealth anglais ?
Kama :
Je l'imagine comme une communauté de valeur et d'intérêt. En effet, si l'on partage la même langue, tout état francophone devrait participer au développement d'un autre état francophone, non seulement sur le plan économique, mais aussi politique et culturel. La France qui prône la démocratie peut aider les démocraties des pays francophones à émerger, à se consolider ou à arriver au pouvoir, pour faire en sorte que la francophonie devienne non seulement un partage de la même langue mais aussi des mêmes valeurs.
J.B.J :Avez-vous parlé de votre conception de la francophonie à des hommes politiques français ? Qu'elles sont leurs réactions face à ces propositions ?
Kama :
De manière générale, les politiques n'écoutent que leurs conseillers et c'est bien là le problème. Dans les pays francophones, ces conseillers ne jouent pas leur rôle. Ils prétendent promouvoir les écrivains, peintres, architectes et intellectuels francophones. Cependant, ils ne promeuvent qu'une faction de la francophonie et négligent le reste. Ainsi, ils divisent la francophonie et la discréditent. En niant une partie du monde francophone pour des intérêts personnels, ils ouvrent la porte aux Anglo-saxons. Ces divisions nous sont fatales.
J.B.J : Pensez vous qu'avec la disparition de Léopold Senghor, nous avons perdu plus qu'un des pères de la francophonie ?
Kama :
Senghor est certainement « le » père de la francophonie. Vous savez, ce grand homme m'a appris des choses essentielles telles que la discrétion, la modestie et la volonté de participer à une pensée francophone par le travail. C'est par le travail, l'écriture, qu'au titre d'écrivain de langue française, je participe à la francophonie. J'ai choisi cette langue d'écriture et j'en ai fait un outil de travail. Senghor m'a également appris qu'il faut écrire les meilleurs livres dans le meilleur français possible. Il m'a laissé l'exigence maladive de la qualité intellectuelle. C'est cette exigence qui a fait de moi un véritable écrivain.
J.B.J : Aujourd'hui, pouvez-vous nous dire qui devrait-être le dirigeant de la francophonie ?
Kama :
J'estime que les vrais chefs ont des personnalités qui se dégagent d'elles mêmes, par leur mérite et par leur travail. Nous avons beaucoup de gens de qualité, mais, c'est à nous tous, gens de la grande famille de la francophonie de les reconnaître, de les pousser et de leur faire comprendre que leurs intérêts sont les nôtres. Nous devons travailler ensemble pour que ce qui nous unie, la langue française, ne disparaisse jamais.
J.B.J : Pensez-vous qu'une communauté francophone, ce que vous appelez une famille, puisse constituer une alternative crédible à l'hégémonie culturelle anglo-saxonne ?
Kama :
Vraisemblablement, à condition de mettre en valeur nos meilleurs ressources et de créer une volonté commune pour que l'on cesse de nier les évidences des uns par les autres. C'est-à-dire, être ensemble pour réaliser un même projet plutôt que d'être ensemble les uns contre les autres. Cette division par la négation est une de nos principales faiblesses. Regarder, pourquoi ne voit-on pas de grands écrivains de langue française d'origine africaine, canadienne ou encore asiatique enseigner dans des universités en France ? Sur bien des points les Américains nous ont doublé. Il faut savoir, par exemple, que tout écrivain africain, ayant publié plus de trois livres, peut étudier dans une université américaine. Alors, allez dire à cet africain, le même que vous avez négligé ou nié, que vous voulez une francophonie crédible. Les Américains l'ayant reconnu avant vous, je vous laisse imaginer sa réaction. Il nous faut mettre fin à cette culture de négation de l'autre dans notre propre camp. Nous devons travailler ensemble pour avancer comme une même famille. Arrêtons de nous diviser et de faire le jeu des Anglo-saxons. Deux tiers des écrivains africains de langue française vivent aux Etats-Unis…
J.B.J :Pensez-vous que les Américains aient compris les enjeux liés à la langue comme vecteur de culture ?
Kama :
Bien sur, ‘Edouard Blissant', ou habite t-il ? Aux Etats-Unis. Beaucoup d'intellectuels africains y résident. La liste est longue puisque les trois quart des écrivains africains de langue française sont aujourd'hui en Amérique. Alors, dites moi, est-ce un hasard si ceux qui représentent l'intelligentsia africaine, au sein de la francophonie, vivent et écrivent aux Etats-Unis ?
J.B.J : Lorsque ces écrivains arrivent aux Etats-Unis, y sont-ils immédiatement traduits ? Perdent-ils leur identité de francophone ?
Kama :
Non, ils continuent d'écrire en langue française mais aux Etats-Unis. C'est la le paradoxe. Mais remarquez que leurs ouvrages sont étudiés, alors qu'en France, ils sont négligés voire inconnus.
J.B.J : Ce que vous dites est ahurissant. Avez-vous déjà participer au sommet de la francophonie ou à d'autres rencontres de ce type ?
Kama :
Non, les écrivains n'y sont pas invités. Les invitations vont aux chefs d'Etats et à leurs conseillers. Mais, la construction de la francophonie revient aux intellectuels francophones pour une raison simple. C'est à eux de se battre pour que la langue, la culture, la communauté francophone deviennent compétitives et pour que la langue ne meurt pas. Or, si ceux qui peuvent donner ses lettres de noblesses et sa crédibilité à la francophonie sont exclus des grands rendez-vous, les gens ont l'impression que le français est en train de mourir. Il n'y a plus de porte étendard crédible, puisque les seuls que l'on voit parler français sont les hommes politiques. Ils ont en partie confisqué la francophonie. Pour cette raison, les intellectuels ne se sentent plus concernés et quand les porteurs de messages ne se sentent plus concernés, qui voulez-vous qu'ils se mettent à soutenir… C'est tout le problème.
J.B.J : Monsieur Kamanda, vous sentez-vous prêt à relever le défi ?
Kama :
Mais, je le relève déjà, à ma manière, je n'ai toujours pas émigré aux Etats-Unis bien que les propositions aient été et restent nombreuses.
J.B.J : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces propositions ? Qui vous contacte ?
Kama :
On m'a proposé de me rendre aux Etats-Unis afin d'y enseigner, d'y vivre, d'écrire des livres et de les voir traduits. C'est par les universités que tout se passe. Et c'est ici une des faiblesses majeures de la francophonie : les universités françaises ne font pas l'effort de promouvoir les œuvres francophones, bien au contraire.
J.B.J : Les universités seraient-elles un moyen de relancer la francophonie ?
Kama :
Oui, il faut passer par les universités. Il faut que les universités françaises ouvrent leurs portes à la littérature de langue française pour que celle-ci n'ait plus besoin des Américains pour exister ou pour assurer sa promotion.
J.B.J : Vous qui voyagez aux quatre coins du monde, avez-vous vu changer les choses ? La jeunesse a-t-elle un désir de ‘francophonie' ou au contraire est-elle en train de l'abandonner ?
Kama :
Il est grand temps de réagir. Les pays francophones s'anglicisent lentement. Il ne faut pas se voiler les yeux. En Afrique, la jeunesse rêve des Etats-Unis plutôt que de l'Europe. Celle-ci est devenue une terre interdite. L'Europe est synonyme de problèmes de visa ou de charters. Les Etats-Unis ont, quant à eux, une nouvelle approche qui vise à intégrer des quotas d'Africains selon leur pays d'origine.
J.B.J : Y a-t-il une volonté anglo-saxonne de nous évincer de l'Afrique ?
Kama :
Je ne peux le dire. En tout cas, ça y fait penser. Prenez l'exemple du Congo, il commence à tanguer entre la francophonie et le monde anglo-saxon, comme une grande partie des pays francophones en Afrique d'ailleurs.
J.B.J : Vous soupçonnez une volonté ?
Kama :
Je ne soupçonne rien, je constate simplement que le peu qu'il reste de la francophonie en Afrique empêche les anglo-saxons de contrôler culturellement le continent. Je constate également que l'Afrique apporte d'innombrables richesses artistiques, financières ou énergétiques au monde. Par conséquent, laisser l'Afrique à la France est inacceptable pour les Anglo-saxons. C'est aussi pour cette raison que les Américains cherchent à délocaliser l'intelligentsia francophone. En s'attachant les seuls gens crédibles de parler de la francophonie, de la développer et de la faire vivre, les Américains menacent la présence de la France en Afrique. En contrôlant l'intelligentsia francophone, les Américains savent que la francophonie va mourir de sa belle mort. Il faut réagir. Mais, si les bons écrivains ne se voient pas donner la parole et que celle-ci va aux médiocres que l'on tente de faire passer pour les meilleures, alors, tôt ou tard l'édifice s'écroule. Vous savez, lorsque vous avez de mauvais joueurs, ils forment une mauvaise équipe. Il faut structurer la francophonie, l'organiser et la rendre combative.
J.B.J : En guise de conclusion, pouvez-vous nous donner des idées de moyens pour rendre la francophonie plus combative ?
Kama :
Je peux vous donner trois axes de travail. Il faut tout d'abord, pour l'Afrique et pourquoi pas pour les autres continents, créer un prix francophone qui serait décerné en Afrique par un chef d'Etat africain à un écrivain africain de langue française. Ce prix que nous pourrions appelé le prix Senghor récompenserait un écrivain pour l'ensemble de son œuvre. Deuxième point, il faut créer des maisons d'éditions francophones pour publier les écrivains de langue française en Afrique, ou ailleurs, et les diffuser dans des pays francophones. Je sais qu'en Afrique, il y a un réel manque de livres, les gens n'étudient plus le français, ils ne le peuvent plus. Dernière proposition, il faudrait que les médias français assurent une couverture médiatique des productions francophones. Il faut que les médias aident à crédibiliser la production francophone pour que celle-ci soit enfin reconnue à sa juste valeur. Tenez, je vous livre une dernière idée : pourquoi ne pas créer une université française en Afrique ?
Kama :
La francophonie. Pour moi, la francophonie idéale, c'est le regroupement des femmes et des hommes qui partagent la même langue, c'est-à-dire la langue française, pour un idéal commun de liberté, de progrès, de solidarité, de justice et de fraternité.
J.B.J : Pourquoi retrouve t-on les idéaux que vous avez énoncés dans la francophonie mais non dans le monde anglo-saxon ?
Kama :
Il y a également ce type d'idées dans le monde anglo-saxon, peut-être différemment… Pour ce qui nous concerne, j'écris en langue française. Cependant, pour reprendre votre comparaison du monde anglo-saxon et de la francophonie, je souhaiterais que nous ayons cette même faculté qu'ont les Anglo-saxons, ou les Espagnols que l'on n'oublie trop souvent, d'élever nos écrivains de langue française qui contribuent à l'édifice de la francophonie. Il faudrait, à l'image des anglo-saxons, que nous soyons capables de porter haut, voir jusqu'au prix Nobel de littérature, nos écrivains et ce, sans parti pris racial, religieux ou idéologique. Voilà une francophonie à laquelle je souscris.
J.B.J : Concrètement, comment imaginez vous la francophonie ? Comme une communauté, un regroupement , une sorte de Commonwealth anglais ?
Kama :
Je l'imagine comme une communauté de valeur et d'intérêt. En effet, si l'on partage la même langue, tout état francophone devrait participer au développement d'un autre état francophone, non seulement sur le plan économique, mais aussi politique et culturel. La France qui prône la démocratie peut aider les démocraties des pays francophones à émerger, à se consolider ou à arriver au pouvoir, pour faire en sorte que la francophonie devienne non seulement un partage de la même langue mais aussi des mêmes valeurs.
J.B.J :Avez-vous parlé de votre conception de la francophonie à des hommes politiques français ? Qu'elles sont leurs réactions face à ces propositions ?
Kama :
De manière générale, les politiques n'écoutent que leurs conseillers et c'est bien là le problème. Dans les pays francophones, ces conseillers ne jouent pas leur rôle. Ils prétendent promouvoir les écrivains, peintres, architectes et intellectuels francophones. Cependant, ils ne promeuvent qu'une faction de la francophonie et négligent le reste. Ainsi, ils divisent la francophonie et la discréditent. En niant une partie du monde francophone pour des intérêts personnels, ils ouvrent la porte aux Anglo-saxons. Ces divisions nous sont fatales.
J.B.J : Pensez vous qu'avec la disparition de Léopold Senghor, nous avons perdu plus qu'un des pères de la francophonie ?
Kama :
Senghor est certainement « le » père de la francophonie. Vous savez, ce grand homme m'a appris des choses essentielles telles que la discrétion, la modestie et la volonté de participer à une pensée francophone par le travail. C'est par le travail, l'écriture, qu'au titre d'écrivain de langue française, je participe à la francophonie. J'ai choisi cette langue d'écriture et j'en ai fait un outil de travail. Senghor m'a également appris qu'il faut écrire les meilleurs livres dans le meilleur français possible. Il m'a laissé l'exigence maladive de la qualité intellectuelle. C'est cette exigence qui a fait de moi un véritable écrivain.
J.B.J : Aujourd'hui, pouvez-vous nous dire qui devrait-être le dirigeant de la francophonie ?
Kama :
J'estime que les vrais chefs ont des personnalités qui se dégagent d'elles mêmes, par leur mérite et par leur travail. Nous avons beaucoup de gens de qualité, mais, c'est à nous tous, gens de la grande famille de la francophonie de les reconnaître, de les pousser et de leur faire comprendre que leurs intérêts sont les nôtres. Nous devons travailler ensemble pour que ce qui nous unie, la langue française, ne disparaisse jamais.
J.B.J : Pensez-vous qu'une communauté francophone, ce que vous appelez une famille, puisse constituer une alternative crédible à l'hégémonie culturelle anglo-saxonne ?
Kama :
Vraisemblablement, à condition de mettre en valeur nos meilleurs ressources et de créer une volonté commune pour que l'on cesse de nier les évidences des uns par les autres. C'est-à-dire, être ensemble pour réaliser un même projet plutôt que d'être ensemble les uns contre les autres. Cette division par la négation est une de nos principales faiblesses. Regarder, pourquoi ne voit-on pas de grands écrivains de langue française d'origine africaine, canadienne ou encore asiatique enseigner dans des universités en France ? Sur bien des points les Américains nous ont doublé. Il faut savoir, par exemple, que tout écrivain africain, ayant publié plus de trois livres, peut étudier dans une université américaine. Alors, allez dire à cet africain, le même que vous avez négligé ou nié, que vous voulez une francophonie crédible. Les Américains l'ayant reconnu avant vous, je vous laisse imaginer sa réaction. Il nous faut mettre fin à cette culture de négation de l'autre dans notre propre camp. Nous devons travailler ensemble pour avancer comme une même famille. Arrêtons de nous diviser et de faire le jeu des Anglo-saxons. Deux tiers des écrivains africains de langue française vivent aux Etats-Unis…
J.B.J :Pensez-vous que les Américains aient compris les enjeux liés à la langue comme vecteur de culture ?
Kama :
Bien sur, ‘Edouard Blissant', ou habite t-il ? Aux Etats-Unis. Beaucoup d'intellectuels africains y résident. La liste est longue puisque les trois quart des écrivains africains de langue française sont aujourd'hui en Amérique. Alors, dites moi, est-ce un hasard si ceux qui représentent l'intelligentsia africaine, au sein de la francophonie, vivent et écrivent aux Etats-Unis ?
J.B.J : Lorsque ces écrivains arrivent aux Etats-Unis, y sont-ils immédiatement traduits ? Perdent-ils leur identité de francophone ?
Kama :
Non, ils continuent d'écrire en langue française mais aux Etats-Unis. C'est la le paradoxe. Mais remarquez que leurs ouvrages sont étudiés, alors qu'en France, ils sont négligés voire inconnus.
J.B.J : Ce que vous dites est ahurissant. Avez-vous déjà participer au sommet de la francophonie ou à d'autres rencontres de ce type ?
Kama :
Non, les écrivains n'y sont pas invités. Les invitations vont aux chefs d'Etats et à leurs conseillers. Mais, la construction de la francophonie revient aux intellectuels francophones pour une raison simple. C'est à eux de se battre pour que la langue, la culture, la communauté francophone deviennent compétitives et pour que la langue ne meurt pas. Or, si ceux qui peuvent donner ses lettres de noblesses et sa crédibilité à la francophonie sont exclus des grands rendez-vous, les gens ont l'impression que le français est en train de mourir. Il n'y a plus de porte étendard crédible, puisque les seuls que l'on voit parler français sont les hommes politiques. Ils ont en partie confisqué la francophonie. Pour cette raison, les intellectuels ne se sentent plus concernés et quand les porteurs de messages ne se sentent plus concernés, qui voulez-vous qu'ils se mettent à soutenir… C'est tout le problème.
J.B.J : Monsieur Kamanda, vous sentez-vous prêt à relever le défi ?
Kama :
Mais, je le relève déjà, à ma manière, je n'ai toujours pas émigré aux Etats-Unis bien que les propositions aient été et restent nombreuses.
J.B.J : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces propositions ? Qui vous contacte ?
Kama :
On m'a proposé de me rendre aux Etats-Unis afin d'y enseigner, d'y vivre, d'écrire des livres et de les voir traduits. C'est par les universités que tout se passe. Et c'est ici une des faiblesses majeures de la francophonie : les universités françaises ne font pas l'effort de promouvoir les œuvres francophones, bien au contraire.
J.B.J : Les universités seraient-elles un moyen de relancer la francophonie ?
Kama :
Oui, il faut passer par les universités. Il faut que les universités françaises ouvrent leurs portes à la littérature de langue française pour que celle-ci n'ait plus besoin des Américains pour exister ou pour assurer sa promotion.
J.B.J : Vous qui voyagez aux quatre coins du monde, avez-vous vu changer les choses ? La jeunesse a-t-elle un désir de ‘francophonie' ou au contraire est-elle en train de l'abandonner ?
Kama :
Il est grand temps de réagir. Les pays francophones s'anglicisent lentement. Il ne faut pas se voiler les yeux. En Afrique, la jeunesse rêve des Etats-Unis plutôt que de l'Europe. Celle-ci est devenue une terre interdite. L'Europe est synonyme de problèmes de visa ou de charters. Les Etats-Unis ont, quant à eux, une nouvelle approche qui vise à intégrer des quotas d'Africains selon leur pays d'origine.
J.B.J : Y a-t-il une volonté anglo-saxonne de nous évincer de l'Afrique ?
Kama :
Je ne peux le dire. En tout cas, ça y fait penser. Prenez l'exemple du Congo, il commence à tanguer entre la francophonie et le monde anglo-saxon, comme une grande partie des pays francophones en Afrique d'ailleurs.
J.B.J : Vous soupçonnez une volonté ?
Kama :
Je ne soupçonne rien, je constate simplement que le peu qu'il reste de la francophonie en Afrique empêche les anglo-saxons de contrôler culturellement le continent. Je constate également que l'Afrique apporte d'innombrables richesses artistiques, financières ou énergétiques au monde. Par conséquent, laisser l'Afrique à la France est inacceptable pour les Anglo-saxons. C'est aussi pour cette raison que les Américains cherchent à délocaliser l'intelligentsia francophone. En s'attachant les seuls gens crédibles de parler de la francophonie, de la développer et de la faire vivre, les Américains menacent la présence de la France en Afrique. En contrôlant l'intelligentsia francophone, les Américains savent que la francophonie va mourir de sa belle mort. Il faut réagir. Mais, si les bons écrivains ne se voient pas donner la parole et que celle-ci va aux médiocres que l'on tente de faire passer pour les meilleures, alors, tôt ou tard l'édifice s'écroule. Vous savez, lorsque vous avez de mauvais joueurs, ils forment une mauvaise équipe. Il faut structurer la francophonie, l'organiser et la rendre combative.
J.B.J : En guise de conclusion, pouvez-vous nous donner des idées de moyens pour rendre la francophonie plus combative ?
Kama :
Je peux vous donner trois axes de travail. Il faut tout d'abord, pour l'Afrique et pourquoi pas pour les autres continents, créer un prix francophone qui serait décerné en Afrique par un chef d'Etat africain à un écrivain africain de langue française. Ce prix que nous pourrions appelé le prix Senghor récompenserait un écrivain pour l'ensemble de son œuvre. Deuxième point, il faut créer des maisons d'éditions francophones pour publier les écrivains de langue française en Afrique, ou ailleurs, et les diffuser dans des pays francophones. Je sais qu'en Afrique, il y a un réel manque de livres, les gens n'étudient plus le français, ils ne le peuvent plus. Dernière proposition, il faudrait que les médias français assurent une couverture médiatique des productions francophones. Il faut que les médias aident à crédibiliser la production francophone pour que celle-ci soit enfin reconnue à sa juste valeur. Tenez, je vous livre une dernière idée : pourquoi ne pas créer une université française en Afrique ?