Construisons l'Europe de la Défense

Jean-Baptiste JUSOT a rencontré Olivier VEDRINE, enseignant la géopolitique et les questions européennes dans le cadre de deux DESS de l'Université de Marne-la-Vallée.Jean-Baptiste JUSOT : Il y a quelque temps l'armée de l'air polonaise a acheté 48 avions F-16 aux Américains. Quel est le sens de cette décision politique ?

Olivier VEDRINE : Le message est clair, l'OTAN avant l'Europe !
C'est un avertissement pour nous, il va désormais falloir faire respecter l'Europe et surtout, il va nous falloir mieux l'expliquer aux nouveaux venus de l'aventure européenne. A l'Ouest, comme à l'Est, il n'y a pas eu de débat, personne n'a parlé de l'Europe, de sa construction, de son avenir et de ses enjeux.
Avec les programmes européens, citons l'exemple de PHARE, on reconstruit et on finance et… ce sont les Américains qui récupèrent les marchés ! Il nous faut comprendre que lorsque l'on fait un chèque, on ne pose pas un acte politique ou un projet. Un acte politique fort, c'est par exemple proposer une défense et une sécurité commune européenne.

Autrefois, la raison d'exister de l'OTAN était de faire face à une menace de l'ex-URSS. Aujourd'hui, nous constatons que grâce à l'OTAN, les américains entretiennent un réseau d'amitié et d'influence en Europe. Ils usent de cette organisation à des fins d'intérêts nationaux et commerciaux.

J.B J : Quelle sont les conséquences de ce contrat de vente d'avions de chasse remporté par les Américains ?

Avec les avions viennent aussi les systèmes d'armement, l'électronique de bord, la maintenance, la formation, bref... la dépendance vis à vis de l'armée et des industries américaines! L'Union Européenne est un frein à l'hégémonie américaine. Manifestement, Washington ne veut pas que nous réussissions notre unité car cela ferait notre force. Pourquoi à votre avis vendent-ils des avions aux Polonais et dans le même temps soutiennent-ils l'adhésion de la Turquie ? Uniquement pour affaiblir l'Europe qui se retrouve face à de multiples dissensions. Nous retrouvons ici une stratégie veille comme le monde mais terriblement efficace « diviser pour mieux régner ».

Pour la guerre en Irak, il s'agit de la même logique. Si l'Europe s'engage derrière les Etats-Unis elle se retrouvera face aux pays musulmans qui ne comprendront pas son attitude. En suivant les Américains, nous risquons de perdre nos amis historiques et nos partenaires financiers des pays arabes.

J.B J : Alors, comment faire pour renforcer l'Europe ?

Avant tout je voudrais rappeler que l'on ne peut pas faire l'économie des Nations. Même si je n'appartiens pas au camp souverainiste, je pense que l'Europe doit respecter ses peuples pour leur imaginer un avenir commun. C'est un peu comme dans un régiment, il faut un chef de corps et ensuite des compagnies ayant chacune leur spécialité... le combat, le soutien, la logistique etc...

Je pense qu'il faut des pays forts dans une Europe forte sans pour autant refuser tout idée de fédéralisme. Les pays européens doivent pouvoir utiliser au mieux leurs talents et leurs capacités, dans le cadre du développement de l'Union, sans pour autant tomber dans le travers de l'OTAN qui compartimente les taches de ses membres.

J.B J : Quelle Europe proposez-vous ?

O.V : Elle reste à inventer ensemble. Comme je l'ai dit, il faut se repartir les tâches et que chacun puisse s'exprimer et agir là où il est le meilleur. Par exemple, la France a une proximité avec les pays arabes et méditerranéens, l'Allemagne, elle, est très influente auprès des pays de l'Est et du centre de l'Europe. A nous de mettre en œuvre nos qualités respectives dans un but commun. Pour l'Angleterre, elle doit faire son choix, elle ne peut être en dedans et en dehors de l'Europe en même temps ; les réticences de de Gaulle trouvent tout le sens aujourd'hui… Il est clair que l'Angleterre conserve toujours des relations spéciales avec les USA notamment dans les domaines financier, énergétiques ou encore dans l'établissement de leurs stratégies géopolitiques notamment au Moyen Orient.

Nous devons construire une société européenne plus humaniste et faire naître par ces valeurs une dynamique fédératrice. Celle-ci se différencie de la création des Etats Unis d'Amérique. l'Europe n'est pas un continent vierge mais un regroupement de membres d'une même famille déchirée et qui souhaitent se réunir afin de vivre en paix.

La volonté politique nous manque, mais je suis persuadé que nous avons tous les moyens pour devenir une puissance géopolitique, l'avenir nous le demande par les défis qu'il nous propose. La rédaction d'une constitution européenne est un pas symbolique qui deviendra un acte fort.


Olivier VEDRINE est ancien auditeur de la 11ème session-jeune de l'IHEDN, ancien auditeur de la 141ème session régionale de l'IHEDN-Versailles et ancien cadre de comité de la 5ème session internationale Centre Europe, Etats baltes et Etats balkaniques.
Il collabore actuellement avec le CESD, le Centre d'Etudes Scientifique de Défense de Marne-la-Vallée, dans le cadre de DESS.
Le CESD, sous la présidence de l'amiral Pierre LACOSTE, est un laboratoire qui a pour vocation de susciter et de coordonner les études et recherches concernant les applications de l'information élaborée en particulier dans le domaine des Nouvelles Technologies.