Messier Story et Le Maître des illusions. L’Ascension et la Chute de Jean-Marie Messier

Messier Story. Pierre Briançon, Grasset, 2002, 413 p. et Le Maître des illusions. L’Ascension et la Chute de Jean-Marie Messier. William Emmanuel, Economica, 2002, 320 p.



Jean-Marie Messier et Vivendi Universal auront marqué la rentrée littéraire des essais et documents. Le texte de Pierre Briançon (davantage articulé sur le personnage Messier que sur le groupe auquel il a donné naissance) met habilement en lumière les éléments du parcours personnel du patron de VU qui pourraient aider à comprendre la situation présente ; en résumé, la leçon essentielle est claire : l’esprit de caste (du style ENA et inspection des finances) a peut-être tué l’esprit de patriotisme économique.

A cet égard, les analyses sociologiques de l’auteur ayant trait aux conditions de formation des élites managériales méritent l’attention et permettraient d’initier d’intéressants débats. Il en va de même pour les réflexions liées à l’histoire du capitalisme français et de ses structures singulières (qui ne méritent pas une condamnation sans appel : le cas des participations croisées en constitue un bon exemple).

Avec l’ouvrage de William Emmanuel, on change notablement de dimension. Ce dernier se focalise moins sur un homme que sur un groupe. Emmanuel pose en réalité la question suivante : le projet d’édifier un « Media Mogul » (un groupe multinational de communication) était-il raisonnable et, surtout, compatible avec une structure de conglomérat multipliant les acquisitions ?

Face à Ruppert Murdoch (News Corp), Steve Case et Gerald Levin (AOL Time Warner), Thomas Middlehoff (Bertelsmann) et John Malone (Liberty Media), quelle stratégie avait des chances de paraître pertinente ? Une dynamique de concentration injustifiée, incohérente ou mal pensée, peut se révéler catastrophique sur le plan financier et social. Au bout du compte, on aperçoit clairement l’impossibilité de pouvoir « empiler » les sociétés en négligeant la gestion opérationnelle de l’ensemble, en surestimant les synergies potentielles, et en occultant soigneusement les intérêts de puissance.

Constat qui jette une lumière intéressante sur les argumentaires contemporains des zélateurs de la mondialisation heureuse. Sans doute faut-il être « gros », mais pas à n’importe quel prix ! Et surtout pas en ignorant les matrices culturelles dans lesquelles s’inscrivent les logiques et les conflits économiques !

Il n’est pas aussi simple que certains veulent le croire de rapprocher des entreprises de nationalités différentes. William Emmanuel nous fournit un exemple emblématique dans son livre. Explorant le cas d’Hollywood, il écrit : « Des acteurs français comme Gérard Depardieu et Sophie Marceau ont rencontré un certain succès en jouant dans des films américains. Luc Besson, considéré comme le plus américain des réalisateurs français, a obtenu quelques réussites commerciales indéniables. Le même phénomène est observé chez les Espagnols, les Britanniques et même quelques asiatiques. Les artistes qui apportent un talent indiscutable trouvent donc leur place dans cette Mecque du cinéma américain. Mais il n’est pas question pour les Américains de laisser des étrangers contrôler cette activité, de détenir la clé du tiroir-caisse. Les groupes étrangers qui ont tenté l’aventure ont subi des échecs douloureux. Les groupes japonais ont tenté dans les années 1980 d’imposer un modèle d’intégration verticale allant des équipements électroniques (télévision et magnétoscope) aux contenus (films et programmes de télévision). Ce pari a été perdu ». Comment mieux dire qu’un grand patron américain n’aurait jamais imaginé se débarrasser de Vivendi Environnement entre des mains étrangères...



Thierry SERVAL