La Pologne se joue de l’Europe

En choisissant le F16, un avion américain vieux de 30 ans, pour renouveler une partie de leur flotte aérienne, les autorités polonaises ont simplement rappelé le poids de l’influence des Etats-Unis sur le continent européen. Les Pays-Bas, la Grèce et la Belgique ont fait de même dans le passé sans que ces actes symboliques n’émeuvent d’ailleurs grand monde, excepté les constructeurs lésés par cette non-compétition technique et commerciale. Rappelons que l’avion de la nouvelle génération Rafale a développé des technologies que les Américains arrivent à peine à égaler en mettant dix fois plus de moyens humains et financiers. Sur le plan militaire, ces flottes aériennes ne jouent qu’un rôle secondaire dans le dispositif de l’OTAN. En revanche, la portée économique de ces contrats n’est pas négligeable pour l’avenir de l’industrie aérospatiale européenne. A force de ne pas acheter européen, les pays membres de l’Union européenne, comme leurs futurs partenaires, sapent les bases d’un des fondements essentiels de notre développement économique.Ces marchés politiques, comme on les appelle pudiquement dans la presse, sont notre point faible principal. La marge de manoeuvre diplomatique des Etats européens à l’égard de l’oncle Sam est excessivement réduite. L’OTAN reste pour l’instant le bras armé de l’Occident. Mais cette soumission tacite à l’imprimatur de la Pax Americana ne doit pas s’étendre à tous les domaines. La vérification de la légitimité européenne se fera dans les actes de résistance aux influences étrangères de toute nature. Cette quête de l’expression d’un pouvoir européen sera à géométrie variable. Si le containment des appétits géoéconomiques des Etats-Unis est en train de devenir une priorité stratégique, il ne faut surtout pas oublier qu’il existe d’autres axes de réflexion et d’action. La navigation à vue de l’ex-empire soviétique doit être suivie de très près dans ses dégats colatéraux : danger permanent du parc nucléaire civil, manipulation des circuits mafieux dans une recherche ciblée de puissance, opportunisme industriel tous azimuts, inadéquation du niveau de vie des populations par rapport à la recherche d’un mode de vie acceptable en termes de santé publique.
La politique de la Chine est aussi un sujet d’intérêt majeur. Il existe dans cet empire du Milieu des clans qui ne pensent pas qu’à l’enrichissement personnel. L’université des sciences sociales de Pékin abrite un courant de pensée qui réfute la domination de l’empire américain. Ce courant formé en partie dans les universités américaines est très critique à l’égard de l’Occident. Si ce courant est en apparence très minoritaire, il dispose malgré tout d’un appui potentiel et diffus dans les provinces de l’intérieur qui sont à la traîne de la croissance économique. Or ces provinces regroupent une masse de population non négligeable qui ne restera pas éternellement silencieuse et soumise. Les problèmes récurrents du Japon ne doivent pas nous faire oublier qu’il existe dans l’empire du Soleil Levant des élites qui n’ont pas du tout apprécié la manière dont l’Occident a bloqué l’expansion économique de la deuxième économie mondiale au début des années 90. Les mesures de protection invisible prises par les Etats-Unis et l’Europe ont été efficaces. Les freins imposés à l’agressivité commerciale de l’industrie automobile japonaise sur nos marchés intérieurs est resté un cas d’école. L’image des ouvriers de Detroit en train de casser à coups de masse des véhivules nippons devant les caméras de télévision , sans provoquer l’intervention des forces de police, résume à ce propos bien des sous-entendus.
La crise financière asiatique a été la cerise sur le gâteau. Relisons les articles parus à l’époque. Certains experts nippons y ont vu autre chose que l’explosion de leur bulle foncière et immobilière ou la crise de leurs infrastructures bancaires. Le refus américain de concéder la création d’un système financier régional souhaité par les pays asisiatiques est considéré par ces mêmes experts japonais comme un acte inexplicable. Le non dit sur les manipulations monétaires et boursières au profit d’un intérêt de puissance a encore un bel avenir devant lui mais il n’est pas irrémédiable. Le mur du politiquement correct laisse en effet apparaître quelques fisssures. Aux lendemains du 11 septembre, des critiques émises au Japon et en Corée du Sud contre Washington ne sont pas nouvelles mais elles changent progressivement de nature ; c’est la pérennité de l’empire américain qui est mise en doute aujourd’hui et non plus seulement ces actes intempestifs de suprématie.
Les gouvernements de l’Union européenne ont une lourde tâche devant eux. Il leur faudra à la fois accepter en grimaçant certains diktats économico-militaires américains, tout en devenant plus actifs dans l’expression de notre intérêt collectif et ceci sur tous les fronts. Les combats dispersés n’ont pas d’avenir. La force de l’Europe est la reconnaissance par l’ensemble de ses citoyens de la créativité réciproque. Lorsque José Bové daignera admettre que le mouvement Slow Food créé en Italie a été plus efficace que lui et les siens pour défendre l’art de vivre européen dans le domaine de l’art de vivre, on aura franchi un grand pas dans le dépassement de nos défaillances culturelles. Mais ce qui est vrai pour la société civile l’est aussi pour le monde de l’industrie et l’univers technocratique bruxellois. L’union fait la force. L’industrie aérospatiale européenne est un enjeu majeur. Après le faux pas polonais, qui désormais en fera la démonstration?

Comité de défense des intérêts européens.