Les relations publiques au service de l’influence globale

La gestion des perceptions (le Perception Management) regroupe un ensemble de techniques, qui coordonnées, permet de modifier, ponctuellement ou durablement, la perception d’une population cible sur un sujet donné en vue de diriger les actions présentes et futures de cette audience.
Parce que cette technique est beaucoup plus difficile à dénoncer, elle est en passe de devenir une des techniques privilégiées d’influence. Le gouvernement des Etats-Unis avait créé l’Office of Strategic Influence (OSI) juste après les attentats du 11 septembre en réaction à la perte de soutien des publics outre-atlantiques, et notamment du Moyen-orient, à la guerre contre le terrorisme.« Le plan proposé par le Pentagone qui consiste à développer des capacités de production d’informations, même potentiellement fausses, destinées aux médias étrangers, fait partie de ce nouvel effort d’influence destiné aux populations et aux politiques des pays aussi bien amis qu’ennemis des Etats-Unis »
New York Times, James Dao et Eric Schmitt, 19 février 2002.


Bien qu’un an plus tard, Donald Rumsfeld (secrétaire de la Défense) mettait fin officiellement à l’OSI, le gouvernement américain n’abandonna pas l’esprit et se tourna vers le savoir-faire des acteurs privés. Des spécialistes de la communication comme Charlotte Beers ou Torie Clarke ont intégré des agences publiques. La première ancienne publicitaire de Madison Avenue a été nommée au Public diplomacy (relations publiques) du Département d’Etat, tandis que la seconde qui dirigeait le cabinet Hill & Knowlton de Washington est devenue le porte-parole du Département de la Défense.

The Rendon Group (TRG) qui jouait un rôle clé dans l’OSI a survécu à cette structure. Selon leur ancien site Internet (qui n’existe plus), le groupe avait des clients dans 78 pays. Ses services consistent officiellement à fournir une assistance de communication aux entreprises, organisations diverses et gouvernements pour qu’ils atteignent leurs objectifs.

Ce groupe participa en 1989 à la campagne de Guillermo Endara contre Manuel Noriega après l’opération « Juste Cause » au Panama, ainsi qu’après l’intervention américaine à Haïti pour restaurer le pouvoir du président en exil Jean-Bertrand Arisitide.
Lors de la guerre du Golfe en 1990, le Rendon Group mit à disposition de la famille royale du Koweit un studio de production à Londres destiné à informer les Koweïtiens en exil et à créer un mouvement de sympathie à l’égard de la famille royale.
C’est le Rendon Group qui aurait fourni des milliers de petits drapeaux à la bannière étoilée à la foule koweïtienne réunie pour saluer l’arrivée des troupes américaines dans Koweït City, arrivée retransmise par les caméras du monde entier.

Un rapport révéla qu’en 1998, le Rendon Group dépensa plus de 23 millions de dollars pour épauler, avec l’aide de la CIA, Al-Mu’tamar al-watani al-iraqi (le Congrès national irakien), la coalition d’opposition au régime de Saddam Hussein qui regroupait 19 organisations irakiennes et kurdes. Cette assistance prit la forme de bandes dessinées ridiculisant Saddam Hussein, de vidéos et de photos dénonçant les atrocités commises par l’armée irakienne, ainsi que deux radios clandestines : Iraqi Broadcasting Corporation (IBC) et Radio Hurriah (radio liberté).
Dès 1992, 11 officiers de la CIA supervisaient les quelques 100 employés de l’IBC qui émettait 11 heures par jour jusqu’en août 1996, date de l’invasion par l’armée irakienne de l’Arbil (zone d’émission de l’IBC) et de l’exécution de 88 employés irakiens de la radio.

Lors d’une conférence en 1998 au National Security Conference, John Rendon, fondateur et président du groupe, se qualifia ouvertement de guerrier de l’information et de manageur des perceptions (« I am an information warrior, and a perception manager »).
Face à des déclarations aussi ouvertes, l’Europe et la France ont-elles les capacités et la volonté politique de contrer cette influence sur les perceptions ?

Pour compléter le sujet, nous vous recommandons l’excellent ouvrage de Delmer « Opération radio noire » (Black Boomerang) dans lequel cet ancien officier des services britanniques retrace les ruses employées par son unité pour modifier les perceptions de l’armée et de la population allemande pendant la Seconde guerre mondiale.

AVS