La faillite du renseignement américain

Compte-rendu de l'ouvrage de Jean GUISNEL : La citadelle endormie. Faillite de l'espionnage américain. Fayard, 2002, 348 p.


Le constat est devenu banal depuis le 11 septembre 2001 : les services secrets de l'Oncle Sam ont failli à leur mission. Tout le livre de Guisnel consiste à explorer ce diagnostic et à évaluer si le gouvernement américain en a tiré les leçons indispensables.


En ce qui concerne le diagnostic, on ne peut qu'accumuler les éléments attestant des faiblesses de l'appareil de renseignement des Etats-Unis. Certes, la puissance technologique permet de rassembler une masse énorme d'informations ; sans aucun doute, des dizaines de milliers d'analystes se consacrent à la dissection des données recueillies ; certainement, de nombreux organismes (trop ?) traitent lesdites données : CIA, NSA, NRO, FBI, DIA … Il n'en reste pas moins que le résultat ne fut pas à la hauteur des moyens engagées et des espérances nourries. Les raisons en sont multiples.


Les principales sont les suivantes.

Premièrement, la technique n'est pas omnipotente. Guisnel note à juste titre qu'un système d'écoutes comme Echelon présente encore des lacunes.

Deuxièmement, trop d'info tue l'info … A partir d'un certain volume à traiter – dans des délais forcément courts –, l'œuvre devient titanesque et insurmontable. De surcroît, beaucoup d'information, brute ou analysée, ne circule pas entre les différentes entités du renseignement, restreignant d'autant plus l'efficacité de l'ensemble.

Troisièmement, les services américains manquent de linguistes. Et au regard de la prédominance WASP au sein de l'appareil de sécurité, le problème ne risque pas de se résoudre à court ou moyen terme ...

Quatrièmement, l'infiltration d'agents américains en milieu hostile demeure éminemment problématique. A cet égard, ces quelques phrases d'un ancien cadre de la CIA, rapportées par Guisnel, sont éclairantes : « La CIA ne possède pas un seul officier arabophone doté d'une réelle qualification et d'une culture moyen-orientale qui puisse se faire passer pour un fondamentaliste musulman et serait volontaire pour passer plusieurs années de sa vie dans les montagnes d'Afghanistan, sans femme, avec de la nourriture de merde. Pour l'amour du Christ, la plupart des officiers traitants vivent en Virginie. Les opérations incluant la diarrhée n'y ont pas cours. »

Cinquièmement, et c'est là sans doute que réside la plus grave des difficultés, les services américains sont enfermés dans leur incapacité à reconnaître leurs erreurs ou, tout au moins, leurs manques. De ce fait, à l'heure actuelle, aucun projet de réforme structurelle ne semble devoir aboutir. Le défi est d'autant moins aisé à relever que certaines commissions d'étude sont constituées de membres choisis par George Tenet, directeur de la CIA … Impossible d'être juge et partie dit-on ?