Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle devraient nous amener à une certaine lucidité sur le jeu politique. La restauration d'une certaine idée de la France se fera à ce prix. Hélas, il ne semble pas que ce soit le chemin emprunté par la plupart des commentateurs qui se lamentent aujourd'hui sur la personnalité des candidats du second tour.
Les oublis du peuple de gauche
En 1981, l'extrême droite était plus que marginale sur la scène politique. La première stratégie de manipulation de l'information autour de Le Pen a été le fait de François Mitterrand en tant que Président de la République. A la suite de l'échec du premier gouvernement Mauroy, François Mitterrand a cherché à préserver les chances de la gauche aux législatives en provoquant une division de la droite électorale. Le seul moyen d'y parvenir était de donner à l'extrême droite une place reconnue sur l'échiquier politique. C'est ce qui a été fait à la suite d'une modification du mode de scrutin pour l'élection législative de 1986. En rétablissant la proportionnelle, le chef du Parti socialiste permettait au Front National de devenir une force politique avec une représentation de 34 députés à l'Assemblée nationale. Cette stratégie de division de la droite n'a guère ému à l'époque les responsables de la gauche socialiste. Une telle manipulation de l'opinion publique qui n'est pas sans rapport avec la réalité électorale actuelle. Mais ce lien de cause à effet est encore profondément enfoui dans l'insconscient collectif de la gauche et de l'extrême gauche qui, à l'époque, n'a pas bougé le petit doigt pour protester contre cette atteinte à la démocratie. Après la disparition de François Mitterrand, Lionel Jospin n'a pas fait de déclaration officielle pour dénoncer ce type de machiavélisme politicien. Ce silence ne cautionne-t-il pas de facto la manipulation de François Mitterrand ?
Les signatures pour la candidature de Le Pen constituent une seconde interrogation. Combien d'élus de gauche ont donné leur signature pour le candidat du Front National. L'absence de débat public sur ce sujet relativise la révolte morale du peuple de gauche qui se présente comme le porte drapeau de la démocratie et le garant des Droits de l'Homme. Des journaux comme Libération sont étrangement silencieux sur ce type de dossier. Est-il normal de permettre à un « fasciste » de conquérir le pouvoir par la voie électorale ? Les résultats de la seconde guerre mondiale sont assez parlants pour légitimer un tel débat dans cette partie de l'opinion. Or, il n'existe pas. Cette omerta préfigure le niveau d'un autre débat. Avant les élections présidentielles de 2002, la cohabitation a été dénoncée comme un système catastrophique pour la France. Lors des prochaines élections législatives, les triangulaires du second tour risquent de fausser de nouveau le résultat des élections. Combien de députés de la gauche vont-ils être élus grâce au maintien des candidats du Front National. Quelle sera la légitimité des élus de la gauche grâce aux voix de l'extrême droite ? Cette situation est dangereuse car elle s'inscrit dans la continuité de la stratégie conçue par François Mitterrand au début de son premier septennat. Les manifestants qui défilent aujourd'hui dans la rue, cautionneront-ils une telle manipulation artificielle du droit de vote ?
L'OPA lepéniste sur le discours de puissance
L'autre manipulation est le fait de Le Pen à l'égard de l'électorat de droite. Coincée depuis des années entre la pensée aseptisée de Raymond Aron et l'héritage atlantiste de Giscard d'Estaing, la droite française n'a rien retenu du parcours du général de Gaulle. Elle est aujourd'hui sans stratégie extérieure. Ce n'est pas un hasard si le candidat du Front National concentre le feu de son discours sur cet aspect des choses. Sa position clairement anti-européenne et le choix pour la préférence nationale occupent le vide laissée par la droite en matière de politique extérieure. Avant 1989, la stratégie de la France était dictée par la politique des petits pas du couple franco-allemand dans le cadre de la construction européenne. L'équilibre entre les deux pays était assuré par la menace d'une guerre entre les deux Blocs. Tant qu'existaient les forces du Pacte de Varsovie, la France pouvait contrebalancer l'influence économique allemande par le poids relatif de sa dissuasion nucléaire. Depuis 13 ans, il n'existe plus de contrepoids à la démarche souterraine de l'Allemagne dans le jeu européen. C'est ce qui explique les tergiversations françaises au sein même de la Commission de Bruxelles. Même si l'opinion publique est loin de ces subtilités diplomatiques, il en perçoit cependant les contrecoups.
A force de diluer la stratégie de la France dans un verbiage européen de plus en plus flou, les élites perdent leurs points de repère élémentaires. Prenons le cas sulfureux de l'immigration. Un pays comme le Canada a depuis plusieurs décennies une stratégie affirmée à l'égard de l'immigration. Elle est sélective et ciblée. Or ce pays n'est pas pour autant dénoncé comme un pays raciste ou fasciste. La France est très loin d'une telle démarche et n'a pas de stratégie affirmée à l'égard de l'immigration. La droite pouvait pourtant dire des choses élémentaires que la gauche est incapable de dire. Citons deux cas symboliques : l'absence de débat politique sur le traitement des médias à l'égard des milliers d'incendies de voiture ou sur la manière dont l'hymne national a été hué au stade de France par une majorité de jeunes d'origine immigrée. En se taisant sur l'évidence de ces actes contraires à l'intérêt collectif, la droite a fait le jeu de Le Pen.
Jacques Chirac parle de conseil de sécurité intérieure mais ne dit rien sur la sécurité extérieure. Or ces deux piliers de la puissance d'un pays sont historiquement et stratégiquement liés. Le jour où un Président de la République daignera présider un conseil de sécurité extérieure, on aura le sentiment que la France a de nouveau une vision de sa politique globale qui ne s'arrête pas à une relance de la croissance, à la modification du statut des retraites ou à une hypothétique réforme de la fiscalité. La force de Le Pen, c'est d'oser dire des choses irréalisables, provocatrices mais qui replace la France dans une architecture de puissance. En restant dans le non-dit sur la réelle nature des rapports de force entre puissances nationales ou transnationales et en faisant profil bas sur le respect des accords de Maastricht et de Schengen, la droite française représentée par Jacques Chirac gère les affaires courantes. C'est insuffisant pour exister sur la scène internationale mais surtout pour rassurer l'opinion publique française sur son avenir.
Les oublis du peuple de gauche
En 1981, l'extrême droite était plus que marginale sur la scène politique. La première stratégie de manipulation de l'information autour de Le Pen a été le fait de François Mitterrand en tant que Président de la République. A la suite de l'échec du premier gouvernement Mauroy, François Mitterrand a cherché à préserver les chances de la gauche aux législatives en provoquant une division de la droite électorale. Le seul moyen d'y parvenir était de donner à l'extrême droite une place reconnue sur l'échiquier politique. C'est ce qui a été fait à la suite d'une modification du mode de scrutin pour l'élection législative de 1986. En rétablissant la proportionnelle, le chef du Parti socialiste permettait au Front National de devenir une force politique avec une représentation de 34 députés à l'Assemblée nationale. Cette stratégie de division de la droite n'a guère ému à l'époque les responsables de la gauche socialiste. Une telle manipulation de l'opinion publique qui n'est pas sans rapport avec la réalité électorale actuelle. Mais ce lien de cause à effet est encore profondément enfoui dans l'insconscient collectif de la gauche et de l'extrême gauche qui, à l'époque, n'a pas bougé le petit doigt pour protester contre cette atteinte à la démocratie. Après la disparition de François Mitterrand, Lionel Jospin n'a pas fait de déclaration officielle pour dénoncer ce type de machiavélisme politicien. Ce silence ne cautionne-t-il pas de facto la manipulation de François Mitterrand ?
Les signatures pour la candidature de Le Pen constituent une seconde interrogation. Combien d'élus de gauche ont donné leur signature pour le candidat du Front National. L'absence de débat public sur ce sujet relativise la révolte morale du peuple de gauche qui se présente comme le porte drapeau de la démocratie et le garant des Droits de l'Homme. Des journaux comme Libération sont étrangement silencieux sur ce type de dossier. Est-il normal de permettre à un « fasciste » de conquérir le pouvoir par la voie électorale ? Les résultats de la seconde guerre mondiale sont assez parlants pour légitimer un tel débat dans cette partie de l'opinion. Or, il n'existe pas. Cette omerta préfigure le niveau d'un autre débat. Avant les élections présidentielles de 2002, la cohabitation a été dénoncée comme un système catastrophique pour la France. Lors des prochaines élections législatives, les triangulaires du second tour risquent de fausser de nouveau le résultat des élections. Combien de députés de la gauche vont-ils être élus grâce au maintien des candidats du Front National. Quelle sera la légitimité des élus de la gauche grâce aux voix de l'extrême droite ? Cette situation est dangereuse car elle s'inscrit dans la continuité de la stratégie conçue par François Mitterrand au début de son premier septennat. Les manifestants qui défilent aujourd'hui dans la rue, cautionneront-ils une telle manipulation artificielle du droit de vote ?
L'OPA lepéniste sur le discours de puissance
L'autre manipulation est le fait de Le Pen à l'égard de l'électorat de droite. Coincée depuis des années entre la pensée aseptisée de Raymond Aron et l'héritage atlantiste de Giscard d'Estaing, la droite française n'a rien retenu du parcours du général de Gaulle. Elle est aujourd'hui sans stratégie extérieure. Ce n'est pas un hasard si le candidat du Front National concentre le feu de son discours sur cet aspect des choses. Sa position clairement anti-européenne et le choix pour la préférence nationale occupent le vide laissée par la droite en matière de politique extérieure. Avant 1989, la stratégie de la France était dictée par la politique des petits pas du couple franco-allemand dans le cadre de la construction européenne. L'équilibre entre les deux pays était assuré par la menace d'une guerre entre les deux Blocs. Tant qu'existaient les forces du Pacte de Varsovie, la France pouvait contrebalancer l'influence économique allemande par le poids relatif de sa dissuasion nucléaire. Depuis 13 ans, il n'existe plus de contrepoids à la démarche souterraine de l'Allemagne dans le jeu européen. C'est ce qui explique les tergiversations françaises au sein même de la Commission de Bruxelles. Même si l'opinion publique est loin de ces subtilités diplomatiques, il en perçoit cependant les contrecoups.
A force de diluer la stratégie de la France dans un verbiage européen de plus en plus flou, les élites perdent leurs points de repère élémentaires. Prenons le cas sulfureux de l'immigration. Un pays comme le Canada a depuis plusieurs décennies une stratégie affirmée à l'égard de l'immigration. Elle est sélective et ciblée. Or ce pays n'est pas pour autant dénoncé comme un pays raciste ou fasciste. La France est très loin d'une telle démarche et n'a pas de stratégie affirmée à l'égard de l'immigration. La droite pouvait pourtant dire des choses élémentaires que la gauche est incapable de dire. Citons deux cas symboliques : l'absence de débat politique sur le traitement des médias à l'égard des milliers d'incendies de voiture ou sur la manière dont l'hymne national a été hué au stade de France par une majorité de jeunes d'origine immigrée. En se taisant sur l'évidence de ces actes contraires à l'intérêt collectif, la droite a fait le jeu de Le Pen.
Jacques Chirac parle de conseil de sécurité intérieure mais ne dit rien sur la sécurité extérieure. Or ces deux piliers de la puissance d'un pays sont historiquement et stratégiquement liés. Le jour où un Président de la République daignera présider un conseil de sécurité extérieure, on aura le sentiment que la France a de nouveau une vision de sa politique globale qui ne s'arrête pas à une relance de la croissance, à la modification du statut des retraites ou à une hypothétique réforme de la fiscalité. La force de Le Pen, c'est d'oser dire des choses irréalisables, provocatrices mais qui replace la France dans une architecture de puissance. En restant dans le non-dit sur la réelle nature des rapports de force entre puissances nationales ou transnationales et en faisant profil bas sur le respect des accords de Maastricht et de Schengen, la droite française représentée par Jacques Chirac gère les affaires courantes. C'est insuffisant pour exister sur la scène internationale mais surtout pour rassurer l'opinion publique française sur son avenir.