Interview d'Anne Morelli

Une fois de plus, la propagande a fait son oeuvre de guerre. Dans les états démocratiques il est nécessaire pour déclencher une guerre d¹avoir le soutien de la population. La guerre qui vient d’être déclenchée voit, une fois de plus, l’application très scrupuleuse des principes élémentaires de la propagande de guerre mise en oeuvre pour conditionner l¹opinion publique et la faire adhérer à la cause belliqueuse.


Le premier principe de propagande de guerre veut que le consensus à la guerre soit plus rapidement acquis si la population est persuadée que c¹est l¹ Autre qui a déclenché la guerre.Dans le cas actuel, ce principe a été mis en oeuvre par le Président américain dès le 11 septembre.
Il proclame en effet que l¹attaque contre le W.T.C., est une déclaration de guerre, un nouveau Pearl Harbour.
C¹est ainsi que la guerre lancée moins d¹un mois plus tard par les Etats-Unis contre l¹Afghanistan n¹a évidemment pas été présentée comme une attaque mais comme une riposte .

Les mots ont un poids !
Le point de vue de l’Autre est évidemment inverse et l’ attaque contre le W.T.C. pouvait, d’un point de vue hostile aux Etats-Unis, être présenté comme une riposte successive aux bombardements de Bagdad, du Soudan, voire de la Libye.

En outre l’évocation de Pearl Harbour est ambiguë. Certes pour un public nourri de films hollywoodiens cette bataille est le symbole de la félonie japonaise, une attaque- surprise obligeant les Etats-Unis, en décembre 1941, à entrer en guerre dans le Pacifique.
Mais de plus en plus d¹historiens prennent sérieusement en compte l¹hypothèse appuyée notamment par le témoignage de hauts gradés de la marine de guerre américaine - selon laquelle les renseignements américains étaient bien au courant de cette attaque surprise mais ne transmirent pas l¹information au commandant de Pearl Harbour. La réponse des Japonais à l¹ultimatum américain ne lui fut pas davantage transmise.
Il y eut donc rétention des informations afin de forcer les Japonais à tirer les premiers et à pouvoir proclamer que les Etats-Unis ripostaient à une attaque- surprise sur cette colonie américaine.

Le deuxième principe de la propagande de guerre veut que l¹ennemi soit seul responsable de la guerre. Dans ce sens Le Soir écrivait quelques jours avant le déclenchement des opérations militaires :Les talibans et Ben Laden défient (souligné par nous) les Etats-Unis .Le défi étant défini comme une provocation, un appel au combat, la conclusion à tirer de cette présentation des événements est que c¹est l¹Afghanistan qui est seul responsable des bombardements du 7 octobre. Sans se demander bien sûr quelles sont les preuves de la culpabilité de Ben Laden et sans tenir compte du fait que l¹Afghanistan se disait prête à le livrer si sa culpabilité était prouvée.

Un autre principe de la propagande de guerre veut que le camp adverse soit personnifié par un de ses chefs, diabolisé.
Dans le conflit actuel Osama Ben Laden remplit à merveille ce rôle d¹épouvantail, après Milosevic, Saddam Hussein ou le Kaiser allemand en 1914-18.
Le leader ennemi doit toujours être présenté comme l¹immonde à terrasser, le dernier des dinosaures, un fou, un barbare, un criminel infernal, un boucher, un monstre, un ennemi de l¹humanité.. Le but de la guerre serait de le capturer et sa mise à terre signifierait le retour immédiat à la civilisation.
Ce schéma général est évidemment applicable à Osama Ben Laden.
Mais il ne faut pas oublier que nombre de ces affreux de service, ne sont affreux qu¹ ad interim. Avant ou après le conflit ils peuvent très bien être parfaitement fréquentables. Milosevic avait trinqué avec Clinton et Chirac lors des accords de paix signés à Paris à propos de la Bosnie, trois ans avant la guerre dont il fut l¹épouvantail. Nelson Mandela et Yasser Arafat, après avoir été les ennemis publics numéro un, furent les hôtes du pape et du président américain.
Pour le monstre Ben Laden il faut se souvenir que lui aussi a eu son heure de gloire aux Etats-Unis qui le soutenaient politiquement et dans ses entreprises économiques.

Un principe de guerre parfaitement appliqué dans cette guerre veut qu¹on ne parle jamais que de nobles motivations non des motivations réelles du conflit. Ainsi l’Occident serait intervenu contre l¹Irak pour déjouer son militarisme ,sauver un petit pays (le Koweït) et restaurer la démocratie.
Que le KoweÏt soit parmi les états les moins démocratiques du monde et dont la seule constitution est le Coran, n¹avait pas de place dans ce développement où il n¹était jamais question des intérêts pétroliers et géo-stratégiques en jeu.
Dans l’actuel conflit également pas un mot n’est dit de ces domaines bassement matériels. . La position stratégique de l¹Afghanistan, entre la Russie et la Chine et les intérêts pétroliers qui traversent cette région via leurs pipe-lines sont insuffisamment soulignés.
Mais l¹opinion est branchée sur un conflit de civilisation qui verrait s¹affronter notre monde moderne et démocratique à la barbarie intégriste et moyenâgeuse Qui dans ce cas pourrait s¹identifier évidemment à la deuxième cause ?

Selon les principes de la propagande de guerre il est essentiel de présenter l¹ennemi comme provoquant sciemment des atrocités tandis que notre camp ne peut commettre que des bavures très involontaires. Ce principe est bien sûr appliqué actuellement.
Les Afghans ne peuvent pas être tenus collectivement pour responsables d¹un vaste massacre d¹innocents, très largement médiatisé, tandis que nos frappes ne touchent évidemment que les terroristes avérés et épargnent les innocents !. Nous ferions la guerre de manière chevaleresque tandis que nos ennemis refuseraient de se plier à ses règles.

Si la guerre a un caractère sacré elle a beaucoup plus de chances d¹être acceptée de l¹opinion publique.
Ce caractère sacré peut être pris au premier degré en tant que combat entre deux religions opposées mais il peut aussi être élargi à d¹autres sacrés tels que la patrie, la démocratie, la liberté.
Dans le conflit actuel on joue sur les deux registres. Le mot croisade s¹est échappé de la bouche de G.Bush, qui ne manque pas en outre, de terminer - comme par ailleurs les talibans - ses discours par une invocation à Dieu. God bless America.
Mais la guerre est sensée aussi défendre les valeurs sacrées de la société laïcisée et doit être le grand affrontement entre le Bien et le Mal.
On peut imaginer que, comme d’habitude (c’est encore un principe de base de la propagande) on appellera à la rescousse pour nous émouvoir et nous démontrer le bien fondé de la guerre, artistes et intellectuels.

Le dernier principe veut que ceux qui doutent de la propagande soient immédiatement présentés comme des traîtres, des agents de l’ennemi. G.Bush n¹a-t-il pas déjà annoncé que tous ceux qui n’étaient pas avec lui étaient contre lui ?
La seule représentante du Congrès qui n¹a pas voté la liberté pour le président de déclarer la guerre (une femme, démocrate, californienne et noire), Barbara Lee, a eu à affronter depuis son vote tant de menaces de mort qu¹elle ne peut plus se déplacer que protégée par des gardes du corps.

De quoi faire réfléchir ceux qui pensaient ne pas soutenir la guerre !
Ces principes sont bien connus et après chaque guerre nous convenons que nous avons été manipulés.
Mais entre deux guerres on se dit La prochaine fois on ne m’aura plus !. Et pourtant, lorsque la suivante arrive, nous sommes une nouvelle fois piégés. Parce qu¹on peut ajouter un principe supplémentaire qui veut que, bien sûr, précédemment, on nous a trompés mais que, cette fois-ci, juré promis, c¹est une cause vraiment glorieuse, nos adversaires sont vraiment diaboliques et nous sommes parfaitement innocents.
Cette fois-ci c'est eux qui ont commencé. Vrai de vrai.

Anne Morelli, professeur de Critique historique à l¹Université Libre de Bruxelles.