Le débat sur la mondialisation est un sujet suffisamment porteur pour donner lieu à des opérations médiatiques non dénuées de sous-entendus. La mise en scène du personnage Toni Negri comme nouveau leader de la pensée anti-mondialisation est un cas d’école qui mérite quelques commentaires. Toni Négri n’est pas un personnage banal. Ancien responsable de l’extrême gauche italienne à l’époque des années de plomb, il a dirigé le groupe Autonomie Ouvrière qui a été impliqué dans un certain nombre d’actions armées ( attaques de banques, attentats symboliques contre des bâtiments administratifs, manifestations violentes dans lesquelles sont apparus des manifestants cagoulés brandissant des armes de poing du type P38). A la fin des années 70, Toni Négri est arrêté puis accusé d’être le cerveau des Brigades Rouges italiennes (BR). La relecture des faits fera tomber cette accusation en désuétude. Toni Négri a bien dialogué avec les BR à travers le journal Contro Informazione mais a rompu avec elles au milieu des années 70 car il ne partageait pas leur ligne politique d’affrontement avec l’Etat. Le leader milanais de l’Autonomie Ouvrière défendait alors une démarche concurrente, fondée sur la désobéissance civile, les autoréductions de services publics ou la création de comités de quartiers. Cette stratégie de contre-pouvoirs fut battue en brèche par la répression policière et la montée aux enchères des BR sur le terrain de la lutte armée.
Par la suite, Toni Négri fut condamné par la justice italienne à 13 ans de prison pour « insurrection armée contre l’Etat ». Profitant de son élection comme député sur la liste du Parti Radical italien, il sortit de prison et se réfugia en France où il séjourna pendant de longues années. A son retour en Italie, il a été réincarcéré puis placé en régime de semi-liberté. Son retour sur la scène publique concorde avec la publication en 2001 de l’ouvrage Empire que nous avons déjà commenté sur Infoguerre.com. Ecrit en collaboration avec l’américain Michael Hardt, Empire est une critique post-marxiste de l’impérialisme américain. A l’heure où le Président des Etats-Unis part en guerre contre le terrorisme mondial, on peut s’étonner queToni Négri soit salué par le New York Times comme l’auteur de la « première grande synthèse théorique du nouveau millénaire ». Comment expliquer qu’un ancien dirigeant gauchiste, soupçonné jadis d’orchestrer des actions de bandes armées, bénéficie d’un tel cautionnement de la part d’un grand média américain après les évènements du 11 septembre ? Serait-ce simplement l’expression de la liberté de pensée des journalistes américains ?
La réponse est peut-être un peu plus complexe. Le raisonnement de Toni Négri en 2001 s’inscrit dans la continuité des réflexions que ce leader gauchiste a entamé dès 1976. L’échec de leur application en Italie ne lui a pas posé de problème de fond pour réactualiser cette démarche militante, 20 ans plus tard. L’envolée lyrique sur la mondialisation lui donne un nouvel espace de parole à l’intérieur duquel il replace la même stratégie en occultant le versant politico-militaire des années 70. Cette décriminalisation du discours le rend-il plus efficace ? A priori non. Le célèbre groupe de guérilla urbaine Tupamaros a suivi une évolution similaire en Uruguay et les résultats ne sont guère significatifs. Reste le discours distillé par Empire. Quelle est sa force de frappe subversive ? Ce n’est pas parce qu’on dénonce l’empire américain au nom de la défense des opprimés qu’on menace sérieusement ses fondements. Les journalistes du New York Times le savent. Alors comment expliquer leur curiosité pour cet ancien leader du gauchisme italien ?
En déclarant au journal Le Monde que le « nationalisme est une forme qui ne fonctionne plus et le souverainisme n’est qu’une illusion pernicieuse », Toni Negri nous donne une partie de la réponse. Cette déclaration contribue à casser la légitimité du discours sur la recherche de puissance qui pourrait naître en Europe au nom de la défense des opprimés. De tels propos tenus par un intellectuel d’extrême gauche constituent la meilleure caution morale que peut trouver le parti américain pour miner les bases d’une définition de la puissance géostratégique et géoéconomique de l’Europe. Selon Toni Négri, la seule alternative au capitalisme est la construction de contre-pouvoirs générés par la contestation de la société civile mondiale. Mais quelle menace peut constituer pour l’empire américain, un « contre-empire » représenté par un mouvement sans patrie ni frontières, émiété en autant de forces de proposition qu’il n’existe de sujets de contestation ? Les Américains savent qu’ils n’ont pas grand-chose à craindre de ce genre d’alternative révolutionnaire. Le scénario a déjà été joué des dizaines de fois au cours du siècle précédent. Et leur pouvoir n’a fait que s’accroître.
En revanche, le fait de donner une résonance médiatique au discours d’un théoricien anticapitaliste qui décrédibilise toute idée naissante de souverainté européenne est une démarche très habile. Jusqu’à présent, les Américains ont su exploiter avec une certaine finesse les élans mondialistes de l’intelligentsia de gauche ou de centre gauche européenne. Le quotidien Le Monde est un excellent vecteur pour ce genre de manipulation indirecte. Présenter Toni Négri comme un penseur du mouvement anti-mondialisation, c’est orienter les commentaires sur ce mouvement en occultant d’autres forces plus dérangeantes. Toni Négri est-il un « idiot utile », version oncle Sam ? Là n’est pas le vrai problème. C’est surtout la manière dont le personnage est mis en scène par la presse bien-pensante sur le plan international qui retient notre attention. Infoguerre.com ne manquera pas de suivre attentivement ce cheminement informationnel, si il se poursuit.
Par la suite, Toni Négri fut condamné par la justice italienne à 13 ans de prison pour « insurrection armée contre l’Etat ». Profitant de son élection comme député sur la liste du Parti Radical italien, il sortit de prison et se réfugia en France où il séjourna pendant de longues années. A son retour en Italie, il a été réincarcéré puis placé en régime de semi-liberté. Son retour sur la scène publique concorde avec la publication en 2001 de l’ouvrage Empire que nous avons déjà commenté sur Infoguerre.com. Ecrit en collaboration avec l’américain Michael Hardt, Empire est une critique post-marxiste de l’impérialisme américain. A l’heure où le Président des Etats-Unis part en guerre contre le terrorisme mondial, on peut s’étonner queToni Négri soit salué par le New York Times comme l’auteur de la « première grande synthèse théorique du nouveau millénaire ». Comment expliquer qu’un ancien dirigeant gauchiste, soupçonné jadis d’orchestrer des actions de bandes armées, bénéficie d’un tel cautionnement de la part d’un grand média américain après les évènements du 11 septembre ? Serait-ce simplement l’expression de la liberté de pensée des journalistes américains ?
La réponse est peut-être un peu plus complexe. Le raisonnement de Toni Négri en 2001 s’inscrit dans la continuité des réflexions que ce leader gauchiste a entamé dès 1976. L’échec de leur application en Italie ne lui a pas posé de problème de fond pour réactualiser cette démarche militante, 20 ans plus tard. L’envolée lyrique sur la mondialisation lui donne un nouvel espace de parole à l’intérieur duquel il replace la même stratégie en occultant le versant politico-militaire des années 70. Cette décriminalisation du discours le rend-il plus efficace ? A priori non. Le célèbre groupe de guérilla urbaine Tupamaros a suivi une évolution similaire en Uruguay et les résultats ne sont guère significatifs. Reste le discours distillé par Empire. Quelle est sa force de frappe subversive ? Ce n’est pas parce qu’on dénonce l’empire américain au nom de la défense des opprimés qu’on menace sérieusement ses fondements. Les journalistes du New York Times le savent. Alors comment expliquer leur curiosité pour cet ancien leader du gauchisme italien ?
En déclarant au journal Le Monde que le « nationalisme est une forme qui ne fonctionne plus et le souverainisme n’est qu’une illusion pernicieuse », Toni Negri nous donne une partie de la réponse. Cette déclaration contribue à casser la légitimité du discours sur la recherche de puissance qui pourrait naître en Europe au nom de la défense des opprimés. De tels propos tenus par un intellectuel d’extrême gauche constituent la meilleure caution morale que peut trouver le parti américain pour miner les bases d’une définition de la puissance géostratégique et géoéconomique de l’Europe. Selon Toni Négri, la seule alternative au capitalisme est la construction de contre-pouvoirs générés par la contestation de la société civile mondiale. Mais quelle menace peut constituer pour l’empire américain, un « contre-empire » représenté par un mouvement sans patrie ni frontières, émiété en autant de forces de proposition qu’il n’existe de sujets de contestation ? Les Américains savent qu’ils n’ont pas grand-chose à craindre de ce genre d’alternative révolutionnaire. Le scénario a déjà été joué des dizaines de fois au cours du siècle précédent. Et leur pouvoir n’a fait que s’accroître.
En revanche, le fait de donner une résonance médiatique au discours d’un théoricien anticapitaliste qui décrédibilise toute idée naissante de souverainté européenne est une démarche très habile. Jusqu’à présent, les Américains ont su exploiter avec une certaine finesse les élans mondialistes de l’intelligentsia de gauche ou de centre gauche européenne. Le quotidien Le Monde est un excellent vecteur pour ce genre de manipulation indirecte. Présenter Toni Négri comme un penseur du mouvement anti-mondialisation, c’est orienter les commentaires sur ce mouvement en occultant d’autres forces plus dérangeantes. Toni Négri est-il un « idiot utile », version oncle Sam ? Là n’est pas le vrai problème. C’est surtout la manière dont le personnage est mis en scène par la presse bien-pensante sur le plan international qui retient notre attention. Infoguerre.com ne manquera pas de suivre attentivement ce cheminement informationnel, si il se poursuit.