Le bye bye de Jean-Marie Messier à son petit pays exotique

Le quotidien Libération révèle dans son édition du samedi 13 janvier 2002 que le Pdg du groupe Vivendi Universal a déclaré jeudi à Los Angeles, lors d’une réunion privée de l’industrie du spectacle, qu’il « était en guerre avec le gouvernement français ». Cette boutade est une réponse aux réactions hostiles de responsables politiques français à sa déclaration sur la mort de l’exception culturelle française. En prenant bien soin de n’accorder à cette question qu’une importance très secondaire, Jean-Marie Messier a précisé l’orientation de sa nouvelle vie : « Pourquoi j’ai déménagé avec ma famille de ce petit pays exotique pour venir à New York ? Avec ma femme et quatre de nos cinq enfants, nous nous sommes installés à New York quelques jours avant le 11 septembre. Les évènements ont accéléré notre intégration…Maintenant nous sommes fiers d’être new-yorkais et de participer au même niveau ques les autres Américains au redressement de la ville. Je savais que j’aimais l’Amérique, je savais que j’aimais les Américains, mais je n’avais pas réalisé, jusqu’à cette date, à quel point je me sens américain ».
Cette prise de position d’un grand patron français qui passe symboliquement dans l’autre camp n’est pas un grand événement en soi, mais elle sert de révélateur à la grave crise qui secoue aujourd’hui les fondements mêmes de notre République et surtout les positions futures de l’Europe dans sa relation de puissance avec les Etats-Unis d’Amérique. Elle est aussi le révélateur de maux plus anciens. La France vacille sur ses bases depuis l’effondrement de notre puissance et de nos idéaux en juin 1940. Le refus de venir au secours de la Tchécoslovaquie lors de l’invasion des Sudètes par les troupes nazies a révélé au monde que nous n’étions plus capables de respecter nos alliances élémentaires. Cela ne s’oublie pas si vite. Les Tchèques étaient les premiers à nous le rappeler après la chute du Mur de Berlin. L’épuration menée aux lendemains de la défaite de l’Axe n’a pas gommé la collaboration d’un gouvernement français avec un régime qui a créé les chambres à gaz.
La période des guerres coloniales n’a guère été plus reluisante. Insistons sur un fait, un seul qui résume la solidité apparente du tryptique Patronat, identité patriotique et enjeu de puissance : les autorités françaises de la IVème République n’ont jamais eu le courage ou l’honneur de dénoncer le crime de haute trahison commis par une grande banque française, très implantée en Indochine, qui tirait des bénéfices énormes du trafic de piastres qui sévissait à Saigon. Il ne s’agissait pas hélas d’une escroquerie purement financière. L’organisateur du trafic de piastres était le Viet Minh. Celui-ci a largement profité de ce trafic pour acheter d’importantes quantités d’armes qui servaient ensuite à tuer des soldats français et vietnamiens. Ces banquiers n’ont jamais été arrêtés, encore moins jugés. Le microcosme parisien des affaires savait. Il n’en a rien dit.
Le rappel du général de Gaulle s’est fait dans une ambiance de menace de guerre civile. Ne l’oublions pas. Son passage à la tête de la République a pu donner l’impression d’une renaissance de la France. Tout en respectant les alliances majeures du monde libre face au monde communiste, de Gaulle a tenu tête aux appétits tous azimuts de l’empire américain. Qui l’a suivi dans cette voie ? Sa déclaration sur le Québec libre a fait sourire son électorat. Sa campagne contre l’hégémonie monétaire du dollar a été un échec stratégique. Pompidou et Giscard d’Estaing se sont empressés de remettre progressivement la France sur le rail atlantiste. Leurs successeurs n’ont guère été plus convaincants pour donner à la France une indépendance stratégique digne de ce nom, y compris dans sa manière de penser la montée en puissance de l’Europe face au reste du monde. C’est sans doute ce cheminement qui conduit un Jean-Marie Messier à claquer la porte de l’hexagone pour suivre la destinée d’un pays dans lequel on peut se reconnaitre sans pâlir.
Messier est-il un traître ? Ce serait se tromper de débat que d’aller dans cette direction. Ici, nous savons que Messier ne serait pas Messier sans la France. Cette affirmation n’a rien d’exotique. Le fait que là-bas, le Pdg de Vivendi renie ses origines et le processus qui l’a amené à être ce qu’il est aujourd’hui, conforte simplement l’idée que l’on pouvait se faire de lui. Mais la déclaration de Messier nous interpelle à un autre niveau, car elle risque de servir de caution morale au choix de ces jeunes diplômés qui s’exilent vers les Etats-Unis pour le salaire et la liberté d’action, tout en conservant leur protection sociale française. Plutôt que de parler de traîtrise, l’attitude de Jean-Marie Messier nous fait penser à de la lâcheté. Un peuple digne est un peuple qui se bat, y compris contre lui-même pour ne pas sombrer dans la médiocrité. Ceux qui quittent le navire en prétextant qu’il prend l’eau, ne constituent pas une perte majeure. L’avenir de la France et de l’Europe sera écrit par des hommes d’une autre trempe.

Christian Harbulot