Un article très interessant concernant le concept d'ACM (Action Civilo-Militaire) paru en septembre 2001 dans le n°58 de la revue Le Débat Stratégique intitulé : Le civilo-militaire en Grande Bretagne : leçons pour la France Par Sami Makki.Le Débat Stratégique Nº58 - Septembre 2001
Le civilo-militaire en Grande Bretagne : leçons pour la France
Par Sami Makki
Les forces armées britanniques ont développé, notamment par leurs expériences coloniales et leur déploiement en Irlande du Nord, une doctrine et des pratiques en matière d'opérations de paix (peace support, peace enforcement) caractérisées par une interface sensible à l'environnement et aux acteurs civils sur le théâtre d'opération [1]. Par ces expériences riches qui continuent à alimenter la réflexion stratégique, de nombreux contacts entre ONG et militaires se sont mis en place sur le terrain et lors de rencontres organisées par les forces armées ou les agences civiles.
Un niveau avancé de coordination: la recherche d'une cohérence intergouvernementale
La Grande-Bretagne définit les actions civilo-militaires (ACM) comme la relation d'interaction, de coopération et de coordination, le support mutuel, la planification commune et l'échange permanent d'informations à tous les niveaux entre les structures des forces militaires, les organisations et organismes civils et les relais d'opinion intra théâtre, nécessaires pour obtenir une réponse efficace dans tout l'éventail des opérations . Dans cette approche, La force militaire n'est qu'un élément d'une approche multifonctionnelle et multi-organisationnelle pour résoudre une crise complexe qui passe par une recherche d'une culture de coopération au sein de l'organisation militaire et d'une harmonieuse interaction avec toutes les organisations civiles [2]. Le Département du développement international est un élément clé de cette stratégie visant à assurer une cohérence globale et une unité des efforts engagés pour la conduite des ACM. Cette agence, qui est aussi chargée des relations avec les ONG, place la relation ONG-forces armées au centre de la coopération civilo-militaire par la recherche d'une cohérence interagences.
Des ONG de plus en plus résistantes... mais divisées
Face à cette coopération par l'intégration cililo-militaire et suite à l'intervention de l'OTAN au Kosovo, les ONG britanniques répondent par un regard beaucoup plus critique en cherchant à promouvoir une indépendance de réflexion et d'action. Certaines ONG, conscientes de ces tensions grandissantes et des possibles effets sur le long terme pour les rapports sur le terrain, tentent de réagir[3]. Il semble cependant que le courant de la contestation est majoritaire.
Pour Mike Aaronson de Save the Children UK (SCFUK), il est nécessaire de faire une distinction entre le soutien logistique aux opérations humanitaires qui est positif, et la coordination militaire d'une opération humanitaire qui ne l'est pas [4]. SCFUK, connu pour son refus du nouvel humanitarisme du gouvernement Blair entraîne dans son analyse l'important réseau de l'Overseas Development Institute[5] et s'apprête à publier un ouvrage sur la militarisation de l'humanitaire . Ce document aura un impact dans la communauté des ONG britanniques qui craignent par ailleurs une commercialisation de l'aide humanitaire.
Pour certains experts britanniques, au niveau opérationnel, la doctrine CIMIC reflète une politisation changeante de l'humanitaire, […] héritée de l'intervention en Somalie marquée par le réalisme, et se caractérisant par une coordination hiérarchique et hégémonique [6].
Une conférence organisée par le gouvernement britannique sur les relations entre ONG et Armées dans les crises complexes rappelait, qu'établir une meilleure compréhension est la première étape d'une confiance accrue [7]. Alors que la recherche d'une plus grande synergie visait d'abord à optimiser les ressources, les exigences d'indépendance et d'impartialité apparemment comprises par le militaire, rendent irréaliste l'idée de Task Forces intégrées proposées par le rapport Brahimi de l'ONU sur les opérations de paix en septembre 2000.
Appareil doctrinaire britannique et nécessaire flexibilité militaire
Certains jugent indispensable un engagement préliminaire avec les organisations civiles pour développer une compréhension et une confiance mutuelles et réduire suspicion et résistance durant les opérations. Mais pour le professeur Bellamy, de la Cranfield University, les ONG, qui ont du mal à s'adapter, ne peuvent se permettre (pour des raisons de moyens mais aussi de priorités), de former leur personnel par de longs stages. Pour les ONG, financées par des donateurs (exigeants) […], il faut d'abord aller sur le terrain et sauver ou reconstruire des vies aussi rapidement et efficacement que possible . La responsabilité d'une amélioration de cette coopération qui traverse une phase de crise repose sur les militaires qui devront trouver des compromis avec les organismes d'aide humanitaire et autres ONG. Officiers et sous-officiers doivent recevoir une instruction élargie leur permettant de s'adapter […] à l'action des ONG, et de faire face aux particularités des autres organismes . Bellamy conclut qu'il incombe aux militaires de se montrer particulièrement sensibles aux préoccupations des ONG et d'établir avec elles les relations adéquates [8].
La France, suite à la publication du rapport Gaïa sur les ACM, réfléchit à la création de nouveaux dispositifs efficaces de coordination des actions civilo-militaires. L'exemple britannique est, d'une certaine manière, rassurant : au-delà de la dimension institutionnelle, seules la relation humaine et la connaissance de l'autre demeurent le ciment d'une coopération civilo-militaire réussie. Entre intégration totale et blocages de principe, les forces armées britanniques devront démontrer leur aptitude à une flexibilité accrue pour s'adapter aux exigences des acteurs civils présents avec eux sur les futurs théâtres d'opérations.
Sami Makki
[1] Voir Ministry of Defence Peace Support Operations, Joint Warfare Publication 3-50.
[2] Cité in LtCol Lerwill coopération civilo-militaire : une vue britannique , Objectif Doctrine N°25, Mai 2001, pp. 34 et 35.
[3] Citons par exemple la conférence organisée par Action Aid UK le 12 Octobre 2001, du NGO/Military Contact Group intitulée Mind the Gap .
[4] Cité par Michael Pugh Civil-Military Relations in Peace Support Operations: hegemony or emancipation ?, University of Plymouth for the ODI Seminar, London, February 2001, p.11.
[5] Voir le document à succès dans la communauté des ONG européennes : Joanna Macrae and Nicholas Leader, Shifting sands : The search for coherence between political and humanitarian responses to complex emergencies, HPG Report 8, ODI, London, August 2000.
[6] Michael Pugh, op.cit., p. 12.
[7] UK Foreign and Commonwealth Office and UK Department for International Development, NGOs and the Military in Complex Emergencies, Wilton Park Conference Report (WPS01/05), 23-26 April 2001.
[8] Christopher Bellamy Combining combat readiness and compassion , NATO Review, Summer 2001, p.11.
Le civilo-militaire en Grande Bretagne : leçons pour la France
Par Sami Makki
Les forces armées britanniques ont développé, notamment par leurs expériences coloniales et leur déploiement en Irlande du Nord, une doctrine et des pratiques en matière d'opérations de paix (peace support, peace enforcement) caractérisées par une interface sensible à l'environnement et aux acteurs civils sur le théâtre d'opération [1]. Par ces expériences riches qui continuent à alimenter la réflexion stratégique, de nombreux contacts entre ONG et militaires se sont mis en place sur le terrain et lors de rencontres organisées par les forces armées ou les agences civiles.
Un niveau avancé de coordination: la recherche d'une cohérence intergouvernementale
La Grande-Bretagne définit les actions civilo-militaires (ACM) comme la relation d'interaction, de coopération et de coordination, le support mutuel, la planification commune et l'échange permanent d'informations à tous les niveaux entre les structures des forces militaires, les organisations et organismes civils et les relais d'opinion intra théâtre, nécessaires pour obtenir une réponse efficace dans tout l'éventail des opérations . Dans cette approche, La force militaire n'est qu'un élément d'une approche multifonctionnelle et multi-organisationnelle pour résoudre une crise complexe qui passe par une recherche d'une culture de coopération au sein de l'organisation militaire et d'une harmonieuse interaction avec toutes les organisations civiles [2]. Le Département du développement international est un élément clé de cette stratégie visant à assurer une cohérence globale et une unité des efforts engagés pour la conduite des ACM. Cette agence, qui est aussi chargée des relations avec les ONG, place la relation ONG-forces armées au centre de la coopération civilo-militaire par la recherche d'une cohérence interagences.
Des ONG de plus en plus résistantes... mais divisées
Face à cette coopération par l'intégration cililo-militaire et suite à l'intervention de l'OTAN au Kosovo, les ONG britanniques répondent par un regard beaucoup plus critique en cherchant à promouvoir une indépendance de réflexion et d'action. Certaines ONG, conscientes de ces tensions grandissantes et des possibles effets sur le long terme pour les rapports sur le terrain, tentent de réagir[3]. Il semble cependant que le courant de la contestation est majoritaire.
Pour Mike Aaronson de Save the Children UK (SCFUK), il est nécessaire de faire une distinction entre le soutien logistique aux opérations humanitaires qui est positif, et la coordination militaire d'une opération humanitaire qui ne l'est pas [4]. SCFUK, connu pour son refus du nouvel humanitarisme du gouvernement Blair entraîne dans son analyse l'important réseau de l'Overseas Development Institute[5] et s'apprête à publier un ouvrage sur la militarisation de l'humanitaire . Ce document aura un impact dans la communauté des ONG britanniques qui craignent par ailleurs une commercialisation de l'aide humanitaire.
Pour certains experts britanniques, au niveau opérationnel, la doctrine CIMIC reflète une politisation changeante de l'humanitaire, […] héritée de l'intervention en Somalie marquée par le réalisme, et se caractérisant par une coordination hiérarchique et hégémonique [6].
Une conférence organisée par le gouvernement britannique sur les relations entre ONG et Armées dans les crises complexes rappelait, qu'établir une meilleure compréhension est la première étape d'une confiance accrue [7]. Alors que la recherche d'une plus grande synergie visait d'abord à optimiser les ressources, les exigences d'indépendance et d'impartialité apparemment comprises par le militaire, rendent irréaliste l'idée de Task Forces intégrées proposées par le rapport Brahimi de l'ONU sur les opérations de paix en septembre 2000.
Appareil doctrinaire britannique et nécessaire flexibilité militaire
Certains jugent indispensable un engagement préliminaire avec les organisations civiles pour développer une compréhension et une confiance mutuelles et réduire suspicion et résistance durant les opérations. Mais pour le professeur Bellamy, de la Cranfield University, les ONG, qui ont du mal à s'adapter, ne peuvent se permettre (pour des raisons de moyens mais aussi de priorités), de former leur personnel par de longs stages. Pour les ONG, financées par des donateurs (exigeants) […], il faut d'abord aller sur le terrain et sauver ou reconstruire des vies aussi rapidement et efficacement que possible . La responsabilité d'une amélioration de cette coopération qui traverse une phase de crise repose sur les militaires qui devront trouver des compromis avec les organismes d'aide humanitaire et autres ONG. Officiers et sous-officiers doivent recevoir une instruction élargie leur permettant de s'adapter […] à l'action des ONG, et de faire face aux particularités des autres organismes . Bellamy conclut qu'il incombe aux militaires de se montrer particulièrement sensibles aux préoccupations des ONG et d'établir avec elles les relations adéquates [8].
La France, suite à la publication du rapport Gaïa sur les ACM, réfléchit à la création de nouveaux dispositifs efficaces de coordination des actions civilo-militaires. L'exemple britannique est, d'une certaine manière, rassurant : au-delà de la dimension institutionnelle, seules la relation humaine et la connaissance de l'autre demeurent le ciment d'une coopération civilo-militaire réussie. Entre intégration totale et blocages de principe, les forces armées britanniques devront démontrer leur aptitude à une flexibilité accrue pour s'adapter aux exigences des acteurs civils présents avec eux sur les futurs théâtres d'opérations.
Sami Makki
[1] Voir Ministry of Defence Peace Support Operations, Joint Warfare Publication 3-50.
[2] Cité in LtCol Lerwill coopération civilo-militaire : une vue britannique , Objectif Doctrine N°25, Mai 2001, pp. 34 et 35.
[3] Citons par exemple la conférence organisée par Action Aid UK le 12 Octobre 2001, du NGO/Military Contact Group intitulée Mind the Gap .
[4] Cité par Michael Pugh Civil-Military Relations in Peace Support Operations: hegemony or emancipation ?, University of Plymouth for the ODI Seminar, London, February 2001, p.11.
[5] Voir le document à succès dans la communauté des ONG européennes : Joanna Macrae and Nicholas Leader, Shifting sands : The search for coherence between political and humanitarian responses to complex emergencies, HPG Report 8, ODI, London, August 2000.
[6] Michael Pugh, op.cit., p. 12.
[7] UK Foreign and Commonwealth Office and UK Department for International Development, NGOs and the Military in Complex Emergencies, Wilton Park Conference Report (WPS01/05), 23-26 April 2001.
[8] Christopher Bellamy Combining combat readiness and compassion , NATO Review, Summer 2001, p.11.