Alimentation : les Américains n’ont pas peur du ridicule

Dans l’émission Envoyé spécial du 24 octobre 2001, France 2 a diffusé un reportage sur la campagne du maire de Philadelphie contre l’obésité de ses concitoyens. Nous avons assisté ce jour-là à une démonstration exemplaire de l’hypocrisie américaine sur la question cruciale de l’alimentation et de la santé.L’industrie agro-alimentaire américaine est la principale responsable des maux imputables à l’alimentation (un tiers des adultes souffre de cholestérol, la tendance à l’obésité suit une courbe catastrophique dans la jeunesse défavorisée). Or qu’avons-nous vu dans ce reportage ? Un maire qui défend un programme d’incitation à la perte de poids sans dire une seule fois quelle était la cause de cette défaillance de l’american way of life. Le journaliste insiste pourtant sur la publicité mensongère qui figure sur l’emballage des produits alimentaires (en particulier sur la soi-disante réduction des taux de graisse). Il y a pire. Les magasins qui vendent aux pauvres n’offrent qu’une gamme de produits sans légumes ou produits frais. Un fruit mou est un fruit impropre à la consommation selon les critères sanitaires de l’industrie agro-alimentaire américaine.
Les recettes proposées par le maire de Philadelphie prêtent plus qu’à sourire. Le fait d’inviter ses concitoyens à faire du sport pour maigrir alors que la racine de leur mal est le produit qu’il consomme, relève de la désinformation pure et simple. Sur ce point précis, l’Amérique ressemble à l’URSS. Cette dérive dans le mode de vie américain est inquiétante pour deux raisons. La première nous concerne directement. L’industrie agro-alimentaire américaine cherche à exporter ses critères de conditionnement des produits en Europe (cf le débat sur le chocolat). Et il faut admettre que la Commission de Bruxelles est loin d’être la meilleure garante de notre art de vivre. Il suffit de regarder comment se comporte Pascal Lamy sur la question agricole pour s’en convainvre. Certains agriculteurs n’hésitent pas à désigner le candidat de Lionel Jospin à la Commission de Bruxelles comme un « idiot utile » (expression utilisée jadis par les soviétiques pour désigner les compagnons de route qu’ils manipulaient en coulisses) ou un agent d’influence potentiel américain. L’accusation est grave mais le reportage de France 2 met en lumière la portée « citoyenne » de l’accusation. L’Europe et la France en particulier, ne peuvent pas se permettre de se faire coloniser par l’industrie agro-alimentaire américaine. Cela représente un danger pour la santé des Européens et pour notre mode de vie. La vigilance doit se renforcer dans ce domaine où nous n’avons strictement rien à attendre de l’activisme anti-mondialisation ou d’ATTAC qui se limite encore trop à une approche idéologique des problèmes de la vie courante. Quand ces mouvements s’investeront-il sur des dossiers-clés comme la remise en cause du système alimentaire américain et ses conséquences sur la santé publique, la dérive marchande des groupes pharmaceutiques, ou la déréglementation du transport ferroviaire en Europe ? Ces cibles ne sont-elles pas assez « politiques » ?
Les manipulations informationnelles dans le domaine alimentaire risquent de croître dans l’avenir. L’affaire sortie par la magazine Le Point sur une écoute téléphonique éventuelle du chercheur français Pierre Meneton par un service spécialisé français nous interpelle sur un point : à qui profite cette manipulation ? Pierre Meneton, chercheur de l’Inserm, dénonce l’excédent de sel que certains groupes agro-alimentaires français rajoutent à leurs produits. La presse qui a réagi à l’article du Point a mis en doute la véracité du document administratif présenté par la rédaction du Point. Il est vrai qu’une démarche de protestataires dénonçant les pratiques malfaisantes de groupes industriels n’aurait pas emprunté un cheminement aussi tortueux. Alors qui manipule qui dans cette histoire ?