L’affaire Messier est intéressante à plus d’un titre: elle pose d’abord le problème du rapport entre la notion de chef de grande entreprise et de préservation de l’intérêt de puissance. Autrement dit Messier est-il un grand patron au service de son pays ? Peut-on le comparer à un Pierre Guillaumat qui a donné à la France une certaine indépendance énergétique (objectif crucial dans l’économie-monde des années 50/60/70) ? Rien n’est moins sûr. Pierre Guillaumat était à la fois un patriote et un entrepreneur. Il a servi son pays et a développé des activités industrielles en créant des emplois et en hissant la France à un rang qu’elle avait délaissé depuis des décennies en matière de compétition énergétique. La mondialisation des échanges efface-t-elle des tablettes ce type de personnage ? La réponse est non ! Christian Blanc l’a démontré à la tête du groupe Air France. Il le démontre encore aujourd’hui en tant que citoyen en parlant de stratégie pour la France, ce qui est tellement rare dans l’univers patronal. Comment ne pas penser à l’évidence : la montée en puissance de l’Europe ne se fera qu’en adéquation avec la préservation de la puissance des pays membres tant qu’ils ne se seront pas fondus dans un cadre constitutionnel clairement défini. Il existe donc encore une place importante pour des patrons patriotes. Gageons que le très atlantiste Valéry Giscard d’Estaing ne perde pas de vue ce principe élémentaire de stratégie.
L’industriel français Jean-Marie Messier estime, pour sa part qu’il remplit bien son contrat en hissant le groupe Vivendi aux premiers rangs mondiaux. Cette montée en puissance profite au groupe et indirectement à la France. Mais comme l’indique le billet d’humeur d’Infoguerre sur « l’homme du jour », cette stratégie de franc tireur ressemble plus à un prétexte de dirigeant mégalomane qu’à une véritable réflexion concertée sur l’adéquation entre la réussite industrielle et la préservation de l’intérêt de puissance français. Le groupe Vivendi Universal se positionne sur l’échiquier géoéconomique le plus stratégique du siècle : la compétition dans l’industrie de la connaissance. Les Américains ne laisseront jamais une dynamique étrangère, qui plus est européenne, leur ravir la suprématie sur ce type de marché. Ils se donneront tous les moyens pour absorber la démarche Messier comme ils l’ont fait pour d’autres. Quel est le patron non-américain qui a réussi dans le passé une implantation durable dans un domaine majeur, en pratiquant l’entrisme dans l’économie américaine ?
Rappelons à ce propos quelques points de repère éclairants :
- le rachat manqué de Lucent par Alcatel. Les autorités américaines ne tenaient pas à qu’Alcatel ait accès à des technologies critiques de la défense américaine conçues dans la mouvance de Lucent ;
- l’interdit imposé aux dirigeants de Péchiney d’accéder à certaines connaissances de leur laboratoire de recherche positionné aux Etats-Unis et acheté dans le cadre d’une opération de fusion acquisition. Le chien de garde était pour l’occasion un ancien général américain membre du conseil d’administration de la filiale américaine de Péchiney ;
- les déboires des japonais dans leur tentative de rachat des joyaux d’Hollywood ;
- l’échec stratégique du rachat d’American Motors par Renault.
La liste est longue.
Le patriotisme économique ne se limite pas à l’expression d’un parcours personnel de dirigeant d’entreprise. Certains patrons de l’hexagone ont encore bien du mal à dissocier cette terminologie du fameux slogan du PCF « produisons français ». Bref, le patriotisme économique selon eux, c’est un prétexte insidieux pour se faire piéger par la CGT… Il serait temps de faire monter chez les patrons le niveau de prise de conscience stratégique sur le lien incontournable qui existe entre l’activité économique d’un pays et la préservation de sa puissance. Tout cela ne se mesure plus, « comme à la bonne époque », en nombre de Mirage vendus à l’Arabie Saoudite. En 2001, le problème est un peu plus complexe. A quelques mois des présidentielles, notons au passage que le seul candidat qui esquisse pour l’instant un début de réflexion sur le sujet est Jean-Pierre Chevènement : Son site internet plaide pour une économie de combat. Espérons qu’il ne soit pas le seul.
Christian Harbulot
L’industriel français Jean-Marie Messier estime, pour sa part qu’il remplit bien son contrat en hissant le groupe Vivendi aux premiers rangs mondiaux. Cette montée en puissance profite au groupe et indirectement à la France. Mais comme l’indique le billet d’humeur d’Infoguerre sur « l’homme du jour », cette stratégie de franc tireur ressemble plus à un prétexte de dirigeant mégalomane qu’à une véritable réflexion concertée sur l’adéquation entre la réussite industrielle et la préservation de l’intérêt de puissance français. Le groupe Vivendi Universal se positionne sur l’échiquier géoéconomique le plus stratégique du siècle : la compétition dans l’industrie de la connaissance. Les Américains ne laisseront jamais une dynamique étrangère, qui plus est européenne, leur ravir la suprématie sur ce type de marché. Ils se donneront tous les moyens pour absorber la démarche Messier comme ils l’ont fait pour d’autres. Quel est le patron non-américain qui a réussi dans le passé une implantation durable dans un domaine majeur, en pratiquant l’entrisme dans l’économie américaine ?
Rappelons à ce propos quelques points de repère éclairants :
- le rachat manqué de Lucent par Alcatel. Les autorités américaines ne tenaient pas à qu’Alcatel ait accès à des technologies critiques de la défense américaine conçues dans la mouvance de Lucent ;
- l’interdit imposé aux dirigeants de Péchiney d’accéder à certaines connaissances de leur laboratoire de recherche positionné aux Etats-Unis et acheté dans le cadre d’une opération de fusion acquisition. Le chien de garde était pour l’occasion un ancien général américain membre du conseil d’administration de la filiale américaine de Péchiney ;
- les déboires des japonais dans leur tentative de rachat des joyaux d’Hollywood ;
- l’échec stratégique du rachat d’American Motors par Renault.
La liste est longue.
Le patriotisme économique ne se limite pas à l’expression d’un parcours personnel de dirigeant d’entreprise. Certains patrons de l’hexagone ont encore bien du mal à dissocier cette terminologie du fameux slogan du PCF « produisons français ». Bref, le patriotisme économique selon eux, c’est un prétexte insidieux pour se faire piéger par la CGT… Il serait temps de faire monter chez les patrons le niveau de prise de conscience stratégique sur le lien incontournable qui existe entre l’activité économique d’un pays et la préservation de sa puissance. Tout cela ne se mesure plus, « comme à la bonne époque », en nombre de Mirage vendus à l’Arabie Saoudite. En 2001, le problème est un peu plus complexe. A quelques mois des présidentielles, notons au passage que le seul candidat qui esquisse pour l’instant un début de réflexion sur le sujet est Jean-Pierre Chevènement : Son site internet plaide pour une économie de combat. Espérons qu’il ne soit pas le seul.
Christian Harbulot