L’émission "Rue des entrepreneurs" diffusée sur France Inter le samedi 13 octobre mérite quelques commentaires. Si les questions des journalistes étaient pertinentes, les réponses des experts n’ont pas toujours été à la hauteur du sujet traité. Il serait temps que François Géré de la Fondation de la Recherche Stratégique s’informe sur le contenu de la guerre de l’information dans le monde des entreprises. Contrairement à ce qu’il a dit, il existe de nombreuses similitudes entre la guerre de l’information pratiquée dans un conflit politico-militaire tel que celui que nous vivons actuellement et celle qui sévit dans le monde de l’entreprise. Une attaque du faible au fort dans le domaine économique met en avant les règles suivantes :
1) Frapper les points faibles de l’adversaire par l’information
(cas Belvédère : l’entreprise Philips Millenium commande à l’agence de communication Edelman la réalisation d’un site internet entièrement dédié à l’attaque des points faibles du concurrent Belvédère).
2) User l’adversaire par des attaques répétitives
(Cas ATR : communication de Pascal Andrei de l’Aérospatiale lors du premier colloque de l’Ecole de Guerre Economique organisé en 1997 à l’Unesco. Les rumeurs diffusées sur le net se sont échelonnées sur une longue période pour décrédibiliser un appareil de la gamme ATR suite à un crash aérien.)
3) Encercler par la connaissance
(Cas de Mitsubishi au Mexique : des sites de protection de l’environnement anglo-saxons ont lancé une campagne d’information systématique et d’amplitude planétaire sur le net pour empêcher Mitsubishi de construire la plus grande usine du monde à proximité d’un site de reproduction des baleines).
4) Axer la communication sur un discours de justice
La dynamique anti-mondialisation est un bon exemple d’une démarche de guerre de l’information qui repose sur une mécanique intellectuelle très rodée dans l’histoire du XXème siècle :
- Opposer l’humanisme au profit,
- Revendiquer la légitimité du pauvre contre le riche,
- Différencier les constantes humanitaires des variables économiques,
- Mobiliser les intellectuels contre les marchands,
Cette démarche peut parfois trébucher sur sa légitimité de fait lorsque le nom de M. Tobin est lié à un slogan, la revendication de la taxe Tobin, alors que la personne concernée refuse d’avoir son nom associé à cette proposition.
5) Utiliser toutes les caisses de résonance possibles
La campagne de protestation de Greenpeace lancée contre Shell en 1995 a révélé la manière dont une ONG pouvait déstabiliser une multinationale en utilisant les médias, les manifestations de rue, les pétitions et internet. L’enquête du bureau Véritas a démontré l’inexactitude des propos de Greenpeace sur la pollution engendrée par le coulage de la plateforme pétrolière Brent Star en Mer du Nord. Après avoir présenté ses excuses à Shell, Greenpeace cautionne toujours sur son site mondial la légitimité de cette campagne de protestation. Notons au passage, pour François Géré, que l’armée française a mobilisé plusieurs dizaines de cadres pour faire échec à la guerre de l’information de Greenpeace lors de la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique au début du septennat de Jacques Chirac.
Cette grille de lecture de la guerre de l’information du faible au fort, bien identifiée dans le cadre économique, s’applique aussi à la démarche de Ben Laden.
1) Frapper les points faibles de l’adversaire par l’information
Le choix des frappes sur les tours du World Trade Center a été double :
- en termes de cible pour faire le maximum de victimes.
- en termes de chronométrage de l’opération car l’espacement entre les frappes a été calculé en fonction du scoop médiatique recherché par les auteurs de l’attentat. Les terroristes ont fait le calcul élémentaire que la frappe de la première tour provoquerait un direct quasi immédiat des TV américaines qui filmeraient obligatoirement le crash contre la seconde tour. L’information est un des points faibles majeurs des démocraties. Ben Laden le sait et en joue comme les Brigades rouges italiennes l’avaient fait en 1978 lors du long suspens médiatique qui a fait suite à l’enlèvement d’Aldo Moro.
2) User l’adversaire par des attaques répétitives
Les forces de Ben Laden sur le terrain sont plus limitées qu’on ne le croit. La seconde frappe, si il est démontré un lien avec les envois de lettres contaminées à l’anthrax, a un but évident : faire oublier la faiblesse numérique des réseaux terroristes par la force d’impact d’actes de terreur bactériologique.
3) Encercler par la connaissance
En l’occurrence, il s’agit de briser l’encerclement de la guerre de l’information occidentale du type guerre du Golfe par des relais inattaquables (le réseau des mosquées extrémistes, la chaîne professionnelle arabe qui diffuse les communiqués de Ben Laden et dont Dominique Wolton dit à l’antenne de France Inter que c’est un progrès dans la couverture informationnelle du conflit et les mouvements associatifs qu’il est plus facile de manipuler que les grands canaux médiatiques). Ben Laden cherche aussi à encercler par la connaissance des poches de population réceptives à sa rhétorique. Le recul sur l’événement permettra de dire si ces frappes informationnelles sont plus efficaces que les tirs de missiles de croisière sur les bases terroristes délaissées par leurs occupants.
4) Axer la propagande sur un discours de justice
Ben Laden joue sur le velours des contradictions du monde occidental par rapport au monde arabo-musulman. Les références religieuses qui structurent les messages de Ben Laden sont à double détente :
- Noyer le poisson. Masquer les limites d’un combat suicidaire dans l’atemporalité d’une guerre sainte sans calendrier. La force actuelle de ce message terroriste est qu’une défaite stratégique de Ben laden ou des talibans ne met pas fin à l’action.
- Sucer le sang de l’ennemi. La tactique la plus insidieuse de Ben laden consiste à créer des brèches durables en jouant sur le débat sécuritaire qui commence à diviser certaines élites du monde occidental. Pour les défenseurs des droits de l’homme, la pensée philosophique revue et corrigée depuis 1789, ce n’est plus la liberté ou la mort mais la mort plutôt que la suppression de la liberté.
5) Utiliser toutes les caisses de résonance possibles
Ben Laden n’a pas trop à se fatiguer. Contrairement à Sadam Hussein ou à Milosevitch, sa guerre de l’information n’est pas sans échos car elle profite des relais d’opinion naturels qui dédiabolisent, sans vraiment s’en rendre compte, la monstruosité de ces actes par ce slogan pathétique non au terrorisme, non à la guerre .
Si la Fondation de la Recherche Stratégique se contente d’analyser une guerre politico-militaire du faible au fort avec un système de pensée qui résume la réflexion de la stratégie aux écrits de Clausewitz, les Ben Laden et consorts ont encore de beaux jours devant eux.
1) Frapper les points faibles de l’adversaire par l’information
(cas Belvédère : l’entreprise Philips Millenium commande à l’agence de communication Edelman la réalisation d’un site internet entièrement dédié à l’attaque des points faibles du concurrent Belvédère).
2) User l’adversaire par des attaques répétitives
(Cas ATR : communication de Pascal Andrei de l’Aérospatiale lors du premier colloque de l’Ecole de Guerre Economique organisé en 1997 à l’Unesco. Les rumeurs diffusées sur le net se sont échelonnées sur une longue période pour décrédibiliser un appareil de la gamme ATR suite à un crash aérien.)
3) Encercler par la connaissance
(Cas de Mitsubishi au Mexique : des sites de protection de l’environnement anglo-saxons ont lancé une campagne d’information systématique et d’amplitude planétaire sur le net pour empêcher Mitsubishi de construire la plus grande usine du monde à proximité d’un site de reproduction des baleines).
4) Axer la communication sur un discours de justice
La dynamique anti-mondialisation est un bon exemple d’une démarche de guerre de l’information qui repose sur une mécanique intellectuelle très rodée dans l’histoire du XXème siècle :
- Opposer l’humanisme au profit,
- Revendiquer la légitimité du pauvre contre le riche,
- Différencier les constantes humanitaires des variables économiques,
- Mobiliser les intellectuels contre les marchands,
Cette démarche peut parfois trébucher sur sa légitimité de fait lorsque le nom de M. Tobin est lié à un slogan, la revendication de la taxe Tobin, alors que la personne concernée refuse d’avoir son nom associé à cette proposition.
5) Utiliser toutes les caisses de résonance possibles
La campagne de protestation de Greenpeace lancée contre Shell en 1995 a révélé la manière dont une ONG pouvait déstabiliser une multinationale en utilisant les médias, les manifestations de rue, les pétitions et internet. L’enquête du bureau Véritas a démontré l’inexactitude des propos de Greenpeace sur la pollution engendrée par le coulage de la plateforme pétrolière Brent Star en Mer du Nord. Après avoir présenté ses excuses à Shell, Greenpeace cautionne toujours sur son site mondial la légitimité de cette campagne de protestation. Notons au passage, pour François Géré, que l’armée française a mobilisé plusieurs dizaines de cadres pour faire échec à la guerre de l’information de Greenpeace lors de la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique au début du septennat de Jacques Chirac.
Cette grille de lecture de la guerre de l’information du faible au fort, bien identifiée dans le cadre économique, s’applique aussi à la démarche de Ben Laden.
1) Frapper les points faibles de l’adversaire par l’information
Le choix des frappes sur les tours du World Trade Center a été double :
- en termes de cible pour faire le maximum de victimes.
- en termes de chronométrage de l’opération car l’espacement entre les frappes a été calculé en fonction du scoop médiatique recherché par les auteurs de l’attentat. Les terroristes ont fait le calcul élémentaire que la frappe de la première tour provoquerait un direct quasi immédiat des TV américaines qui filmeraient obligatoirement le crash contre la seconde tour. L’information est un des points faibles majeurs des démocraties. Ben Laden le sait et en joue comme les Brigades rouges italiennes l’avaient fait en 1978 lors du long suspens médiatique qui a fait suite à l’enlèvement d’Aldo Moro.
2) User l’adversaire par des attaques répétitives
Les forces de Ben Laden sur le terrain sont plus limitées qu’on ne le croit. La seconde frappe, si il est démontré un lien avec les envois de lettres contaminées à l’anthrax, a un but évident : faire oublier la faiblesse numérique des réseaux terroristes par la force d’impact d’actes de terreur bactériologique.
3) Encercler par la connaissance
En l’occurrence, il s’agit de briser l’encerclement de la guerre de l’information occidentale du type guerre du Golfe par des relais inattaquables (le réseau des mosquées extrémistes, la chaîne professionnelle arabe qui diffuse les communiqués de Ben Laden et dont Dominique Wolton dit à l’antenne de France Inter que c’est un progrès dans la couverture informationnelle du conflit et les mouvements associatifs qu’il est plus facile de manipuler que les grands canaux médiatiques). Ben Laden cherche aussi à encercler par la connaissance des poches de population réceptives à sa rhétorique. Le recul sur l’événement permettra de dire si ces frappes informationnelles sont plus efficaces que les tirs de missiles de croisière sur les bases terroristes délaissées par leurs occupants.
4) Axer la propagande sur un discours de justice
Ben Laden joue sur le velours des contradictions du monde occidental par rapport au monde arabo-musulman. Les références religieuses qui structurent les messages de Ben Laden sont à double détente :
- Noyer le poisson. Masquer les limites d’un combat suicidaire dans l’atemporalité d’une guerre sainte sans calendrier. La force actuelle de ce message terroriste est qu’une défaite stratégique de Ben laden ou des talibans ne met pas fin à l’action.
- Sucer le sang de l’ennemi. La tactique la plus insidieuse de Ben laden consiste à créer des brèches durables en jouant sur le débat sécuritaire qui commence à diviser certaines élites du monde occidental. Pour les défenseurs des droits de l’homme, la pensée philosophique revue et corrigée depuis 1789, ce n’est plus la liberté ou la mort mais la mort plutôt que la suppression de la liberté.
5) Utiliser toutes les caisses de résonance possibles
Ben Laden n’a pas trop à se fatiguer. Contrairement à Sadam Hussein ou à Milosevitch, sa guerre de l’information n’est pas sans échos car elle profite des relais d’opinion naturels qui dédiabolisent, sans vraiment s’en rendre compte, la monstruosité de ces actes par ce slogan pathétique non au terrorisme, non à la guerre .
Si la Fondation de la Recherche Stratégique se contente d’analyser une guerre politico-militaire du faible au fort avec un système de pensée qui résume la réflexion de la stratégie aux écrits de Clausewitz, les Ben Laden et consorts ont encore de beaux jours devant eux.