Vincent Jauvert, journaliste d'investigation au Nouvel Observateur, nous rafraîchit la mémoire sur les racines de la dialectique alliés/adversaires qui domine aujourd'hui les relations internationales.
Le livre de Jauvert, édité au Seuil en octobre 2000, décrit la manière dont le Général de Gaulle est devenu le premier chef d'Etat occidental à avoir défié les Etats-Unis sur leur volonté de dominer le monde.
De Gaulle expose clairement ses différends franco-américains dès sa première rencontre avec John Kennedy en mai 1961. Il se méfie des états d'âme américains sur l'usage de leur parapluie nucléaire en cas d'agression soviétique en Europe. Il n'approuve pas la politique américaine en Amérique latine et suggère un trait d'union européen qui tempérerait la pression nord-américaine sur sa sphère d'influence. De Gaulle se méfie aussi de l'insistance américaine à soutenir la candidature britannique au Marché Commun. Une Europe économique, politique et militaire sera à terme un empire rival que les Américains n'ont aucun intérêt à consolider gratuitement. C'est la raison pour laquelle de Gaulle craint leurs chevaux de Troie. Si la Grande Bretagne risque d'en être un ; pour l'Otan, c'est certain. De Gaulle souhaite sur ce point une évolution importante des statuts de l'Alliance atlantique, dans le sens d'une plus grande autonomie de l'Europe. Le représentant de l'empire américain n'a pas apprécié. En 1945, nous rapporte Vincent Jauvert, un autre démocrate, Harry Truman, avait résumé ce qu'il pensait du chef de la France libre par cette phrase au vocabulaire très prisé dans les films américains : « i don't like this son of a bitch ». Le début de l'Histoire du XXIème siècle est déjà écrite. Beaucoup de Français vont s'empresser de l'oublier très vite, peut-être trop vite.
Le livre couvre la décennie majeure de l'histoire de la Vème République : de 1961 à 1969. Pour appuyer sa démonstration, Jauvert a décortiqué les archives accessibles, de source française et américaine, des principaux évènements : la guerre d'Algérie et le putsch d'Alger, l'affaire des fusées à Cuba, la décolonisation africaine, l'indépendance nucléaire de la France, la guerre du Vietnam, le retrait de la France du système militaire de l'Otan, le slogan sur le « Québec Libre », le dossier du transfuge soviétique Golitsine, les événements de mai 1968... A chaque étape, nous découvrons la manière dont la superpuissance américaine surveille les décisions du Général de Gaulle, afin de ne pas en subir les conséquences négatives. Une surveillance tous azimuts... Le dossier présenté par Jauvert sur la John Birch Society établit des raprochements facheux entre cet organisme et le combat des soldats perdus de l'OAS. Dotée d'un budget à l'époque de 3 millions de dollars et comptant plus de 100 mille adhérents sur le sol américain, essentiellement dans le monde des affaires, la John Birch Society entretient des liens étroits avec des militaires américains de haut rang dont certains occupent des fonctions au sein de l'Otan. Il n'est pas à exclure qu'ils aient été tentés de soutenir financièrement l'OAS. Autre phénomème sur lequel il est utile de méditer : la manière dont les Américains ont espionné les délibérations du premier cercle de décision autour du Général de Gaulle. Durant ces années, la Maison blanche est informée en temps réel par un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay sur les dossiers de l'Elysée les plus sensibles. Cette personne n'a jamais été arrêtée et encore moins jugée. Ce genre de trahison ne semble pas déranger grand monde dans ce pays.
Mais le plus spectaculaire du livre de Jauvert ne se résume pas à des révélations sur les coulisses de la diplomatie. A la tête d'un pays affaibli, de Gaulle a représenté pour Washington un allié exceptionnellement précieux (affaire des fusées à Cuba : le renseignement français y avait un réseau d'agents locaux qui a été la seule source d'informations humaines dont aient disposé les autorités américaines. Mais il a surtout été un adversaire coriace dans la mesure où il a toujours refusé de cantonner son pays dans la position d'un vassal soumis aux caprices géopolitiques de la superspuissance américaine. Homme de stratégie directe, de Gaulle n'a pas exercé ses talents dans le domaine de l'indirect. Dommage !