L'homogénéité du Maghreb : un enjeu stratégique

La mondialisation pousse le Maghreb au centre d'enjeux stratégiques et attire de nombreux pays industrialisés.La décolonisation des pays du Maghreb laissait croire qu'une forte revendication culturelle de la population allait émerger. Si ce fut bien le cas dans un premier temps, la nouvelle " liberté " et la vague d'immigration vers les pays d'Europe ont annihilé dans un deuxième temps cette perspective.
En effet, les Maghrébins, forts d'une liberté acquise pour certains dans la douleur, se sont comportés comme les Espagnols lors de la mort de Franco. Ils ont cherché à jouir pleinement de cette toute nouvelle indépendance en adoptant une attitude de consommation ostentatoire. Ce comportement fut entretenu par le retour des immigrés dans leurs pays d'origine, apportant avec eux une part de la culture européenne.
Cette soif de liberté est aujourd'hui amplifiée au Maroc où la mort du roi Hassan II a laissé place à un espoir immense du peuple marocain de vivre une nouvelle ère de prospérité. En Algérie, l'arrivé de Bouteflika à la présidence algérienne, qui par sa politique de " Concorde civile " cherche à sortir le pays de sa léthargie économique et sociale, fait croire à une chance de sortie de ce marasme économique, politique et sociale. La Tunisie, de par la réélection du président Ben Ali, poursuit sa politique de développement économique en étendant les partenariats avec les pays européens principalement.

Alors que le Maroc et la Tunisie dépendent en partie des ressources du Tourisme et des  transferts de fonds de sa communauté d'immigrés d'Europe, l'économie algérienne repose principalement sur l'exploitation de son pétrole, avec également un important transfert de fonds de la communauté algérienne présente en Europe (plus particulièrement en France), mais également en Amérique du nord avec le Canada et les Etats-Unis.
Néanmoins, ces revenus ne suffisent pas à subvenir à l'ensemble des besoins de la population dans ces pays où l'économie est dépendante de l'activité agricole. L'importation est donc un moyen encore nécessaire pour y répondre avec les conséquences négatives sur leurs endettements extérieures.

Il est donc devenu impératif pour ces pays de développer la production nationale pour réduire cette dette extérieure.

Cette nécessité couplée à l'évolution des comportements de consommation des populations, attire les entreprises étrangères qui souhaitent saisir de nouvelles opportunités de croissance dans des pays en voie de développement.
Pour celles-ci, il est primordial d'arriver parmi les premiers dans un secteur encore non-exploité, pour s'assurer un positionnement confortable avec le moindre effort.

Dans un premier temps, cette course de position a laissé place à des pratiques de corruption et de pots-de-vin que les dirigeants tentent aujourd'hui d'étouffer pour donner à leurs pays un semblant de démocratie, mais aussi pour apporter une stabilité politique et économique, nécessaire à l'accueil de nouveaux investisseurs.

Au delà du fait que le Maghreb, de par son développement économique interne, représente une véritable opportunité d'affaire, il est important de signaler l'avantage que lui confère sa situation géographique.
Situé sur le continent Africain, proche du continent Européen, voisin du Moyen-Orient, ouvert sur la Méditerranée et sur l'Océan Atlantique, sa situation géographique donne à ses pays "membres" une position stratégique dans les échanges entre le continent africain et européen d'une part, et entre l'Europe et le Moyen-Orient d'autre part. Le Maghreb est donc un formidable tremplin à la fois vers l'Europe, l'Afrique et le Moyen Orient.

L'autre avantage du Maghreb ce sont les ressources importantes dont il dispose, aussi bien en matières premières (Pétrole, Gaz, Phosphate) qu'en main d'oeuvre. Cette dernière est moins chère que celle des pays d'Europe.


Nombreuses sont les entreprises étrangères conscientes de ces avantages à la fois géographiques et structurelles, qui n'hésitent plus à investir au Maghreb.

Ce sont pour toutes ces raisons que le Maghreb connaît aujourd'hui une croissance des investissements en provenance de l'étranger.

Pour tout investissement étranger, les relations diplomatiques se mettent en marche. Ces dernières années, la diplomatie joue son plein au Maghreb. Les entreprises qui souhaitent effectuer d'importants investissements sont fréquemment accompagnés d'un cortège de diplomates pour appuyer leur projet.
Le Maghreb a connu ces dernières années une multiplication de ses relations diplomatiques avec notamment la France et les Etats-Unis, mais aussi avec l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Hollande, la Belgique. Tous s'installent progressivement dans le paysage économique du Maghreb.
D'autres partenaires sont également présents tels que les pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Emirats-Arabes-Unis, Jordanie) ou encore les pays d'Asie qui frappent à la porte du Maghreb avec essentiellement les industries automobiles de Corée du Sud et du  Japon, mais également la Chine.

Dans cette bataille, deux acteurs majeurs s'affrontent: la France et les Etats-Unis.
La France de part son histoire avec les pays du Maghreb et de sa forte population maghrébine dispose d'un véritable avantage sur le plan relationnel. Elle est le premier partenaire du Maghreb.
Avec Jacques Chirac à la tête de l'Etat, les relations diplomatiques, autrefois froides sous l'ère Mitterrand, se sont considérablement développées. Le défunt roi Hassan II, bon ami du président de la république ,avait affecté une place particulière à la France dans les relations politico-économiques du pays. Ce dernier avait également développé d'excellentes relations avec les Etats-Unis qui autrefois disposait d'une forte délégation militaire au Maroc.
Quant à l'Algérie, l'histoire de son indépendance a toujours perturbé ses relations avec la France, mais l'influence économique de cette dernière a perduré malgré le passé et ce en raison de l'ancrage de la culture française dans l'économie algérienne. Celle-ci fut entretenue avec l'immigration de milliers d'Algériens qui se sont installés en France et qui ont établi des relations économiques avec le pays.
La Tunisie a maintenu également ces relations avec la France pour des raisons similaires.
Ces trois pays sont donc devenus des partenaires privilégiées de la France.
Néanmoins, aujourd'hui cette position privilégiée de la France est menacée par ses partenaires européens qui veulent avoir une part du gâteau dans ces trois pays et plus globalement en Afrique du Nord.
Les pays du Maghreb souhaitent également leurs offrir les mêmes opportunités que la France pour faire jouer la concurrence entre les pays et donc entre les entreprises.
Cela se traduit pour la France par des pertes de part de marché pour ses entreprises, qui voient apparaître de nouveaux concurrents aussi bien dans l'industrie du textile, le batiment, l'automobile, la santé, etc.
Bien entendu les Etats-Unis sont également présents sur ces marchés qui revêtent une importance capitale dans leur stratégie de développement en Afrique.
Nul n'est censé ignorer que la présence de la France voire de l'Europe en Afrique se fait de moins en moins sentir. Les relations avec les Etats-Unis se sont multipliées ces dernières années avec la tournée du président Clinton en Afrique.
Les Etats-Unis souhaitent développer leurs activités dans ces pays qui disposent d'importantes ressources minières et pétrolières. Le Nigeria, le Soudan disposent d'importantes ressources en matière première (pétrole) et sont parfaitement intégrés à la stratégie de développement des américains en Afrique.

Les Etats-Unis déploient leur présence en Afrique et par conséquent au Maghreb de trois façons :
- Par le développement de relations économiques : de nombreuses entreprises américaines (coca-cola, Mac donald, Pfizer, General Electric, etc..) se sont installées là où la France occupait une position privilégiée.
- Il y a également le développement de coopération militaire. Les Etats-Unis ont adopté une stratégie de soutien militaire de certains pays et notamment du Nigeria afin de créer une force d'interposition capable d'intervenir dans les pays en guerre. Cette aide militaire permet aux américains de s'assurer d'un soutien de poids dans la zone africaine. En Algérie, la chute du communisme a poussé les militaires à se tourner vers les Etats-Unis pour s'approvisionner en arme, contribuant ainsi à développer les relations entre les deux pays.
- Développement de relations diplomatiques : du fait des enjeux, nous avons pu observer une croissance du développement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis : tournée en Afrique du président Clinton en 1998, visite du sous-secrétaire d'Etat  adjoint au Trésor M.Eizenstat, parrainage des Etats-Unis de la conférence "Etats-Unis-Maghreb" initiée par le président algérien Bouteflika, consolidation des relations avec le Maroc.

Pourquoi le Maghreb ? Le marché européen est consommateur d'énergie et de produits qui nécessitent des faibles coûts de production. L'Afrique dispose de ces richesses en matières premières et en  main d'oeuvre bon marché qui permettent de vendre aux pays européens des produits à moindre coût.
Or, le Maghreb de part sa position intermédiaire entre l'Europe et l'Afrique joue donc le rôle de point de passage pour ces échanges commerciaux. Il est donc indispensable pour les Etats-Unis ainsi que pour les pays européens d'avoir une présence au Maghreb et de disposer d'une hégémonie dans ces pays.

Toutes ces raisons dissimulent pourtant un enjeu majeur, celui de l'énergie du futur : la co-génération.
L'énergie nucléaire étant de plus en plus critiquée pour sa dangerosité malgré les avantages qu'il procure, de nombreux pays se tournent aujourd'hui vers la co-génération. Cette dernière consiste à incinérer des matières premières permettant la production d'électricité. Les " déchets " issus de cette première étape sont utilisés vers d'autres secteurs tel le chauffage d'immeuble.
Les matières premières utilisées sont le charbon et le gaz. L'extraction du gaz étant moins coûteuse et plus rentable, nombreuses sont les sociétés qui se tournent vers les pays producteurs pour s'approvisionner.
Les pays proches de l'Europe et producteurs de gaz sont peu nombreux : Norvège, Algérie, Russie (Sibérie), Grande-Bretagne. L'approvisionnement en gaz amène les producteurs et distributeurs à développer un réseau de gazoducs identiques à celui du réseau électrique ou des chemins de fers afin de permettre la circulation du gaz et de satisfaire de façon constante les besoins de chacun en gaz. Dans le même principe que pour les vases communicants, si un pays désire plus de gaz il fait appel à un pays disposant de réserve excédentaire (système adoptée en Europe).
C'est pourquoi on constate le développement d'un réseau gazoduc qui part des 4 pays producteurs précités.
Depuis l'Algérie, se construit donc un gazoduc qui passe par le Maroc et arrive en Europe par l'Espagne (Détroit de Gilbratar).
Or le Maroc et l'Algérie sont actuellement en conflit sur la question du Sahara occidental. Pour pouvoir distribuer à la fois du gaz mais aussi du pétrole en Europe, il est donc indispensable que le Maghreb soit homogène et stable politiquement.

L'enjeu de la co-génération explique donc en partie le développement de l'activité diplomatique au Maghreb.
C'est donc une véritable guerre diplomatique sur fond d'enjeux économiques que se livrent entre eux les pays européens mais également l'Europe et les Etats-Unis.

C'est pourquoi, les entreprises font appel à leurs représentants diplomatiques pour faciliter les démarches administratives et politiques qui empêchent  l'accès au marché par le libre jeu de la concurrence.

Une véritable bataille diplomatique a actuellement lieu au Maghreb et plus particulièrement en Algérie où les délégations se suivent devant les douanes algériennes.
La France dans cette bataille a repris les "armes" avec la visite d'une délégation française en Algérie l'été dernier et d'une représentation du MEDEF.
Nos dirigeants semblent ne pas vouloir céder aussi facilement ce que l'on pourrait appeler le dernier domaine d'influence de la France.