D'ordinaire, les sous-sols du siège de l'Association spirituelle de l'Eglise de scientologie d'Ile-de-France, rue Jules César, derrière la Bastille, à Paris, sont un lieu feutré. Là, sous la lumière artificielle, c'est le cœur de la machine scientologue qui est en branle, dans le calme, dans l'ordre et dans la plus haute discrétion. Après un escalier, un couloir borgne donne sur le bureau des finances de la secte, celui de son administration, ceux du DSA (Departement of Special Affairs, ex-OSA, service de renseignements maison) ainsi qu'une pièce dédiée aux «purifications». Partout, des dossiers empilés, des cartonnages impeccables. Mardi 16 mai, pourtant, les lieux ont connu une agitation extrême. Des policiers du Sefti (Service d'enquête sur les fraudes aux technologies de l'information) ont débarqué sans prévenir. Perquisition. Pour la secte, le coup est rude. C'est une partie de sa documentation interne qui va être saisie. Et pas seulement. Selon nos informations, deux ordinateurs ont été emportés, ainsi que deux serveurs informatiques. Deux serveurs qui, selon une source proche de l'affaire, se trouvaient «dans un réduit, à l'abri derrière une sorte d'armoire électrique». Porte-parole de la secte, Danielle Gounord assure qu'elle ignorait la présence de ces deux serveurs.
Fichiers informatiques. A l'origine de l'affaire, trois fois rien. Un ancien adepte proteste auprès de la Scientologie. Excédé de recevoir les publications de la secte, malgré son départ, il demande à être retiré de ses fichiers. Rien n'y fait. L'homme est relancé, encore et toujours. Reçoit des lettres, dont une manuscrite, et des revues comme «Ethique et Libertés», l'organe des scientologues, celui-là même qui précisait pourtant, dans sa livraison de février, être en conformité avec la loi sur les fichiers informatiques. Las, selon l'adepte, jamais la Scientologie n'accède à sa demande. Et l'homme porte plainte pour «atteinte à la vie privée» par conservation de données informatiques, pour «publicité mensongère» et pour «escroquerie».
Quelques semaines plus tard, un second adepte fait de même. Les plaintes atterrissent sur le bureau d'un premier juge puis sont reprises par Renaud Van Ruymbeke. C'est alors que le Sefti entre en jeu, le 16 mai au matin, comme le confirme une source judiciaire. Objectif : vérifier ce que les machines de la Scientologie peuvent bien receler. L'une contiendrait la comptabilité de la secte, l'autre celui de la SEL (Scientologie Espace Librairie), en charge du commerce des livres de Ron Hubbard, le défunt fondateur de la Scientologie, et l'un des serveurs était relié en direct avec Copenhague, plaque tournante de la secte en Europe. Pendant ce temps, Marc Walter, président de l'Association spirituelle de l'Eglise de scientologie d'Ile-de-France, est placé en garde à vue, puis relâché. Outre ses fonctions, la justice s'intéresse à la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH), dont le bureau français fut longtemps domicilié chez lui, dans le nord de Paris. Une CCDH dont le but, depuis une trentaine d'années, est toujours le même : attaquer la psychiatrie, ennemie jurée de la Scientologie.
Les scientologues, justement. Pour eux, la perquisition du 16 mai est du «harcèlement administratif», une «affaire anodine». Pour preuve, selon Danielle Gounord, disquettes et ordinateurs auraient été restitués quatre jours plus tard. Habituée des procédures judiciaires, elle minimise : «Nous avons eu l'impression d'une visite de routine. Rien à voir avec le raid de 1990», qui allait déboucher sur l'instruction puis le grand procès de Lyon, sept ans plus tard. «Tous nos fichiers sont déclarés à la Cnil. Nous n'avons rien à nous reprocher. S'il y a eu un oubli de notre part, on réparera. C'est tout.»
«Dossiers agents morts». Le problème, c'est qu'avec Renaud Van Ruymbecke, les scientologues sont tombés sur un magistrat connu pour sa rigueur et sa détermination. Pas sûr, dès lors, que leur optimisme affiché dure bien longtemps. D'autant qu'outre les fichiers des anciens adhérents, la police aurait saisi des documents relatifs aux sympathisants, comme aux adversaires de la secte, signés du Departement of Special Affairs (DSA). Ce que dément formellement la porte-parole de la secte.
Officiellement, le DSA est le bureau des relations publiques de la Scientologie. Y travaillent des gens connus comme Danielle Gounord et Jean Dupuis, les porte-parole. Et des gens plus discrets, en charge des affaires fiscales, juridiques et des investigations. Des gens capables, par exemple, de rédiger des «Dead Agent Files» («Dossiers agents morts»), sortes de biographies officieuses établies à base d'articles, et parfois d'enquêtes individuelles, servant, selon l'aveu même de Danielle Gounord, «à discréditer» les individus. C'est ainsi que les interlocuteurs du milliardaire américain Bob Minton, farouche opposant à la secte, ont reçu par courrier un dossier le concernant, trois jours après son passage à Paris en avril. C'est ainsi, également, que les journalistes les plus véhéments ont droit à leur fiche. Et que chacun de leur article est résumé, traduit, et expédié à la maison mère, aux Etats-Unis, assorti d'un pourcentage de «théta» et d'«enthéta», de bonnes et de mauvaises vibrations, et d'annotations comme «les ennemis cités», «les phrasesclés», etc.
Dans l'organisation multinationale de la Scientologie, le DSA est au cœur du dispositif, du côté de l'élite. En 1990, une publicité interne en dévoilait la mission: «créer un environnement sûr dans lequel la Scientologie peut prendre de l'expansion». Officiellement, du côté de la secte, on assure pourtant que tout ceci est bien fini. Que la «purge a été faite», et que les sections sensibles du «Bureau des affaires spéciales» ont été dissoutes. N'empêche. Selon plusieurs sources, le 16 mai, les policiers auraient bien fouiné de ce côté-là aussi, dans les sous-sols du siège de la Scientologie.