Cette nouvelle usine d'un coût estimé de 120 millions de dollars, s'étendrait sur 260 kilomètres carrés et permettrait à la société Exportadora de Sal S.A. d'obtenir ainsi une production annuelle de 15 millions de tonnes de sel, ce qui en ferait la première entreprise mondiale de sel marin.
La stratégie du grain de sable
En janvier 1995, un premier projet d'usine est présenté à l'agence gouvernementale de protection de l'environnement. L'Institut National Mexicain de l'Ecologie est prêt à émettre un avis favorable à ce projet lorsque le mouvement écologique mexicain « le groupe des cent » ( cf.note1) l'interpelle et demande une copie de cette étude. Finalement le texte parviendra aux écologistes locaux grâce à une source anonyme située à Washington DC (USA). Après l'avoir lu et analysé, Homero Aridjis rédige un article dans lequel il décrit avec émotion cette lagune paradisiaque objet de tant d'attentions mais il explique également que soixante pour cent de la biosphère serait atteinte si la construction était réalisée.
Un mois après en février 1995, la ministre de l'environnement impose à la société Exportadora de Sal S.A. de revoir sa copie et demande une nouvelle estimation d'impact sur l'environnement approuvée par un comité scientifique international. L'ESSA se dit prête à effectuer dans un délai de trois ans une large enquête en y associant des scientifiques, les associations d'environnement ainsi que les autochtones. Elle s'engage à abandonner son projet s'il s'avère que celui-ci menace l'écosystème. IL faut préciser cependant que cette fameuse lagune de San Ignacio a été déclarée cimetière des baleines en 1954 par le gouvernement mexicain et classée Patrimoine de l'humanité par l'UNESCO en 1993 sous le nom de « Réserve naturelle de la biosphère de Vizcaino ». Finalement cette décision gouvernementale est officiellement motivée par le fait que :
La construction d'une usine pourrait remettre en cause l'équilibre écologique de la zone, perturbant de surcroît la reproduction des baleines grises pour qui cette lagune est the whale nursery selon une association écologiste américaine.
Cette décision de refus a comme conséquence immédiate une prise de conscience des écologistes mexicains qui dès lors vont s'opposer au projet. Leur mobilisation relativement faible à l'origine va s'amplifier avec les participations au premier trimestre 1995 de deux associations américaines connues pour leur activisme en matière de protection de la faune et de l'environnement : le Natural resources Defense Council (NRDC) et L'International Fund for Animal Welfare (IFAW) ; elles seront rejointes par l'organisation internationale Greenpeace. Le NRDC et l'IFAW adhèrent d'autant plus à cette lutte qu'elles se sentent particulièrement concernées par le fait que la migration des baleines grises s'effectue tout au long de la côte ouest des Etats-Unis d'Amérique, du détroit de Bering jusqu'à la lagune de San Ignacio, située certes au Mexique, dans l'Etat de Basse Californie du Sud, mais à 970 kilomètres au sud de Los Angeles ! L'engagement de la société Exportadora de Sal S.A. et la présence du comité scientifique international tempèrent quelque peu l'action des opposants mais n'arrêtent pas la campagne d'opposition au projet.
Au début du mois de décembre 1998, Une équipe du Natural Resources Defense Council assiste à Kyoto (Japon) à la réunion du comité d'héritage du monde des Nations-Unies et demande à cette occasion que ce comité se rende au Mexique et reconnaisse que la lagune San Ignacio est en danger. Cette équipe de NRDC manifeste également devant le siège social de Mitsubishi, intervient sur les médias japonais et pose la question suivante :
Pourquoi les japonais préservent-ils les cèdres anciens de l'île de Yakushima et ne préserveraient ils pas la lagune de San Ignacio, patrimoine de l'humanité ?
L'exploitation des contradictions de l'adversaire :
Cette question relève en effet une contradiction fondamentale de l'âme japonaise. Au pays du Soleil Levant, la nature selon une tradition extrême-orientale, reste vénérée ; chaque jardin par son architecture en est la représentation et y déroger serait un signe de mauvaise augure. Cette interpellation de NRDC ne sera pas sans conséquence sur le comportement de plusieurs employés de Mitsubishi.
Au mois de mai 1999 soixante cinq baleines sont découvertes échouées sur les côtes de la péninsule de Baja (Mexique). Immédiatement c'est le branle-bas au sein de toutes les associations écologiques qui obtiennent là le motif légitimant leur action.
L'argument majeur d'attaque
« L'activité de l'usine de Guerrero negro représente un réel danger pour les baleines qui ne peuvent atteindre leur lieu de reproduction ; l'espèce est menacée ! »
La manipulation de l'information
Depuis 1957 (date de création de l'usine actuelle) la population des baleines grises n'a cessé de croître (+17%) ; en 1996 ce mammifère marin n'est plus sur la liste des espèces menacées..
Deux mois auparavant en mars, sur les côtes de l'Etat de Californie (USA), des carcasses de cétacés avaient également été découvertes.
La création de réseaux d'influence
L'offensive écologiste débute alors et restera soutenue et dense jusqu'à la fin de l'année 99. L'objectif est connu : la renonciation au projet par le gouvernement mexicain et la société Mitsubishi. On constate que celle-ci concentre sur elle la majorité des ‘tirs informationnels' alors que le gouvernement mexicain ne fait l'objet que de quelques attaques locales. L'honorable entreprise japonaise se voit ainsi boycotter ses produits et certains de ses investissements ou associations participatives avec des villes comme San Francisco et Sacramento sont remis en question. Le conseil municipal de la ville de Sacramento vote à l'unanimité le refus de toutes associations d'affaires avec la firme japonaise, tandis que les caisses de retraites des employés de la Californie envisagent de retirer leurs fonds de pension des entreprises associées à Mitsubishi ! Des pétitions sous forme de cartes (7OO.OOO) sont envoyées à l'entreprise japonaise, des fonds sont collectés dans les écoles américaines, des sites internet sont créés comme celui des écologistes mexicains.
La création d'un site de combat
http://www.Savebajawhales.org, bras armé de l'association International Fund for Animal Welfare (IFAW), présente deux pages fortes intéressantes ; l'une sur Mitsubishi, prédateur et tueur de baleines s'opposant au monde entier et la seconde montre l'actualité de la campagne en pointant sur des événements précis. (On peut bien sur rejoindre IFAW en s'inscrivant en ligne.)
Des forums de discussion :
Comme ‘misc.activism.progressive' et ‘alt.animals.whales' animent en permanence cette campagne entretenant ainsi une mobilisation sans faille. Des intellectuels et quelques célébrités comme R.Kennedy et JM. Cousteau apportent leur caution morale.
Une stratégie de harcèlement
est déployée par les mouvements et associations d'opposants afin de maintenir la société Mitsubishi dans un état de tension permanent. Cette entreprise résiste difficilement d'autant que son propre pays, le Japon, reste un farouche partisan de la pêche à la baleines..
L'optimisation de caisses de résonance
Les médias américains et particulièrement CNN dont la diffusion est internationale, contribuent ponctuellement à amplifier la campagne en rappelant qu'au mois de décembre 1997, quatre vingt quatorze tortues de mer ont été trouvées mortes près de l'usine actuelle de guerrero Negro. Ces décès seraient dus à l'augmentation du taux de saumure nécessaire à la fabrication du sel ; aucune preuve d'origine scientifique n'est venu confirmer cette assertion.
Cette usine est le second objectif des écologistes ; la société Exportadora de Sal S.A.(ESSA) subit également, certes à moindre effet, l'assaut exclusif de l'Organisation Greenpeace.
Afin de faire face à des actions offensives de guerre de l'information, cette entreprise a appliqué dès le début de cette affaire, une gestion fine de sa communication mais qui s'est avérée cependant insuffisante. Implantée depuis quarante ans sur la péninsule, n'ignorant pas l'intérêt écologique international de la lagune de San Ignacio, elle pensait pour des raisons de politique économique nationale (n'oublions pas que l'Etat Mexicain détient 51% de cette industrie) obtenir sans difficulté l'autorisation étatique nécessaire à son projet. Le poète a toujours raison comme dit la chanson ; en la circonstance Homéro Aridjis grain de sable sous le vent de la contestation écologique, rappela que ce sanctuaire ne devait pas être profané.
Une démarche de justifications est alors entreprise par cette société, à travers son site internet.En l'absence d'éléments scientifiques, elle exprime une volonté de transparence en expliquant le bien-fondé de son action. Elle insiste en effet sur le fait qu'elle a toujours essayé de mettre en harmonie ses méthodes de production avec le milieu naturel : remplacement des moteurs diesel par des moteurs électriques, des étangs d'évaporation plus éloignés du rivage, une politique d'emploi du personne et cetera..
Cette communication défensive va céder la place à une action de contre information dont la cible sera Greenpeace. Un document presse issu de l'entreprise intitulé « Exportadora de Sal et société civile répondent aux accusations sans fondement des militants étrangers » infirme un certain nombre d'affirmations de cette organisation. Le titre est en soi révélateur car d'un côté il y a l'entreprise mexicaine et la société civile c'est à dire les mexicains et de l'autre des militants étrangers.
Une information pertinente va mettre en cause cette organisation. Elle rappelle que Greenpeace manipule l'information, qu'elle lève des fonds étrangers (30 millions de dollars) afin de protéger la baleine grise en danger dans les eaux mexicaines alors que plus de deux mille de ces mammifères entrent chaque année dans les lagunes de la péninsule de Baja, dénonce ses arguments scientifiques spécieux alors qu'un comité d'experts internationaux fait une enquête sur l'écosystème. Exportadora de Sal S.A. répond point par point, insistant sur le manque de crédibilité de cette organisation écologique qui souvent, a été prise en défaut. Cette contre-information que personne ne démentira atteindra son objectif puisque, coïncidence ou pas, Greenpeace ne sera jamais en première ligne dans cette affaire.
Le 2 mars 2000, au cours d'une conférence de presse, le gouvernement mexicain présente les conclusions de l'étude d'impact réalisée depuis deux ans avec l'assistance de quarante scientifiques reconnus pour leur compétence dans les domaines explorés : aucun effet négatif n'est à craindre pour l'environnement. Néanmoins en raison des importantes transformations qu'occasionnerait la construction de ce nouveau site dans la paysage de la lagune de San Ignacio, la société Exportadora de Sal S.A. décide d'abandonner le projet..
http://www.whaleday.com.
Patronné par l'association écologique américaine International fund for Animal Welfare (IFAW) on peut y lire que les deux millions de sympathisants pour la protection des animaux sont fiers et joyeux d'avoir pu conserver cette réserve naturelle ; fair play, ils remercient la firme Mitsubishi et le gouvernement mexicain.
A l'issue d'une campagne internationale médiatique de cinq ans, un Etat souverain a renoncé à implanter sur son propre sol une de ses entreprise. La participation de Mitsubishi a été le point faible du projet envisagé. L'entreprise japonaise en effet, présentait deux circonstances aggravantes : la première était d'être originaire d'un pays historiquement engagé dans la chasse à la baleine et dans le cas de figure présent, le point douloureux était facile à trouver, la seconde était d'être une multinationale en possession de fonds de pension américains qui se sont avérés un moyen de pression efficace. Mitsubishi contestée dans ses rangs ne pouvait gagner. Les opposants ont su déceler ses failles et les exploiter en portant dans le pays même de l'adversaire, le Japon, la contradiction et la mobilisation. La décision du gouvernement mexicain a peut être été dictée par d'autres considérations politiques ou économiques mais il n'en demeure pas moins vrai que toute cette agitation continue et systématiquement actualisée l'a placé finalement dans une situation économique délicate. Nous venons peut-être d'assister à une nouvelle forme de rapports concurrentiels s'inscrivant dans une logique de guerre économique dont les acteurs réels mais anonymes ont parfaitement intégré la puissance de l'information.
Alain TIFFREAU
consultant associé C4iFR