Les fonds souverains, conquête de la politique par la finance
Les chiffres avancés par le rapport de la banque Morgan Stanley, repris en litanie par les medias spécialisés et généralistes, ont propagé les craintes. Selon la banque d’investissement, les fonds souverains représenteront à eux seuls douze milles milliards de dollars en 2015.
L’absence de transparence de ces acteurs ne contribue pas à apaiser les angoisses. En effet, il existe très peu d’informations officielles, leur statut étatique les soustrayant aux exigences légales de transparence financière. Comme le révèlent la taille et l’importance des investissements, les fonds souverains sont devenus des acteurs de taille dans des marchés financiers qui détestent l’incertitude. De plus, l’entrée en force de ces acteurs suscite des réactions protectionnistes qui augmentent les sentiments d’incertitude chez les acteurs industriels et financiers. Cet instinct défensif des Etats surgit face à ce qui est ressenti comme un phénomène de nationalisation transfrontière. Les investisseurs étrangers passent ainsi de prêteurs à propriétaires ; ce renversement de rapport de forces n’est pas apprécié par les Etats occidentaux qui ne se lassent pas de pointer du doigt la nature peu démocratique des gouvernements qui les détiennent et leurs appétits pour des entreprises occidentales stratégiques. La polémique a fait des étincelles aux Etats-Unis, en Allemagne en France, et a déjà occupé la scène des plus importantes organisations internationales.
Plusieurs idées ont été émises : un code de conduite à établir au niveau international, des golden shares détenues par les Etats d’accueil, des actions sans droit de vote pour les fonds souverains ou encore un principe de réciprocité de liberté d’investissement. Ce dernier moyen est faillible étant donné que certains pays sont ouverts à l’investissement étranger mais peuvent représenter un danger quant à leurs prises de participation. L’idée principale qui englobe toutes ces suggestions est celle du maintien de la liberté d’investissement sur les marchés internationaux tout en établissant un ensemble de mesures permettant la défense des secteurs stratégiques tels que la défense, l’énergie, les télécommunications, la banque, etc...
De telles options stratégiques ne peuvent être prises sans tenir compte des faiblesses des fonds souverains. En effet, ceux-ci sont créés selon une logique inverse à l’habituelle : l’accumulation de liquidités précède la vision stratégique. Au-delà de la démesure affichée, ces acteurs ont-ils une véritable stratégie de pérennité de puissance ? En outre, ils manquent d’une réelle expertise financière alors qu’ils doivent rendre des comptes à l’opinion publique des pays qui les détiennent, comme en témoigne la fureur chinoise après l’effondrement de Blackstone dans lequel China Investment Corporation avait acquis 10% du capital. Ces vulnérabilités ne peuvent être mises de côté puisque : « Qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite » (Sun Tzu).