Plusieurs contributions de l’EGE dans le hors-série de la Revue Conflits : Nous sommes en guerre économique
Le 19 novembre 2014, la Revue Conflits publie son premier Hors-série intitulé « Nous sommes tous en guerre économique ». Parmi les contributeurs à ce numéro spécial, nombreux sont issus du réseau de l’Ecole, enseignants, intervenants ou co-auteurs du Manuel de l’IE.
En plus de la publication d’un article, Christian Harbulot, expert international sur la question, moteur français du concept et fondateur de l’Ecole de Guerre Economique, accorde un entretien à la Revue Conflits.
Christian Harbulot : Cela peut sembler paradoxal. Adolescent j’ai été un militant d’extrême gauche. Et pourtant, je suis toujours resté un patriote. Né à Verdun, j’ai baigné toute mon enfance dans une ambiance patriotique. Je ne pouvais pas être insensible au mot « France », à la masse de morts et de drames qui m’entouraient. Je rêvais même de devenir parachutiste. Mais les événements d’Algérie m’ont déçu, je ne me voyais pas entrer dans l’armée du général Ailleret. Cela explique mon passage à l’extrême gauche. Mais pas chez les trotskystes, chez les maoïstes, j’insiste, la réalité patriotique ne m’a jamais quitté. Les premiers sont des internationalistes, les maoïstes insistaient sur le rapport entre une population et un territoire. Mao Zedong gagne avec tout le monde contre lui, Washington comme Moscou, mais il sait mobiliser son peuple autour de lui. En fait, ce qui a été décisif, c’est mon passage à Sciences-Po de 1973 à 1975. Non pas par ce que j’y ai appris, mais par ce que je n’y ai pas appris. Personne ne donnait à réfléchir au devenir de la France, à la puissance de la France. Je n’y ai trouvé aucun mentor qui m’ait ouvert l’esprit sur le devenir de mon pays, sur ce qui pouvait le contrarier, sur la façon dont une nation comme la nôtre pouvait non seulement préserver ses acquis mais les développer. Personne pour me donner des grilles de lecture. Et cela dans un contexte où le jeu d’opposition entre les blocs conduisait à dissimuler les divergences qui pouvaient exister au sein de chaque bloc. Sciences-Po avait choisi son camp, elle combattait le communisme, elle était presque totalement sous influence américaine. Elle ne cherchait qu’à masquer les contradictions au sein du bloc atlantique, loin de faire réfléchir aux intérêts divergents et aux jeux d’influence qui les dissimulaient. Cette loi du silence qui dominait à Sciences-Po ne pouvait me satisfaire. Une véritable omertà.
Christian Harbulot : Tout est parti de débats avec des militaires. Le général Pichot-Duclos surtout que j’ai rencontré en 1993 après avoir lu ses articles. Puis le général Mermet, qui travaillait au sein d’un organisme de réflexion nommé Stratco. L’accouchement a été long, près de cinq ans. Nous pensions développer nos activités dans une université ou une grande école, mais cela s’est révélé difficile. Aborder le problème de la guerre économique, dévoiler sa réalité, cela risquait d’être peu apprécié outre-Atlantique. Or les professeurs du supérieur craignaient de déplaire et d’être interdits de publication dans les revues américaines. Ils ont donc freiné des quatre fers. Un pionnier comme Le Bihan, qui voulait introduire cet enseignement à HEC, a été forcé de renoncer. Finalement j’ai trouvé le soutien de l’ESLSCA et l’EGE a vu le jour en 1998.
Christian Harbulot : Le phénomène essentiel est justement la fin de la guerre froide et la fin des blocs, donc de l’omertà qui interdisait de mettre sur la place publique les rivalités entre pays occidentaux et de s’interroger sur la solidarité atlantique. Ce qui était dissimulé autrefois l’est de moins en moins. En même temps, sont libérées des forces nouvelles et de nouveaux pays émergents. Mais la fin de la guerre froide ne met pas fin pour autant à la menace nucléaire. La bombe atomique interdit de penser les conflits majeurs entre grandes puissances en termes de guerre militaire, du moins si l’on reste dans la rationalité. C’est ce qui explique en partie la mutation de la guerre sur le terrain des affrontements économiques.
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