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Le soft power, clé de voûte de la guerre économique systémique, par Nicolas Moinet

La guerre économique systémique s’appuie sur un processus informationnel visant à affaiblir, à assujettir ou à soumettre un adversaire à une domination de type cognitif. L’impératif de l’attaquant est de dissimuler l’intention d’attaque et de ne jamais passer pour l’agresseur. Dans cette nouvelle forme d’affrontement informationnel, l’art de la guerre consiste à changer d’échiquier, c’est-à-dire à ne pas affronter l’adversaire sur le terrain où il s’attend à être attaqué.

Ainsi, dans la problématique du fort nous rappelle Christian Harbulot, la question va être de ne pas passer pour un agresseur et de réaliser un encerclement cognitif «pacifique» par l’occupation du terrain par la connaissance. Côté américain, le soft power permet de répondre à ces objectifs.

Sous couvert de société ouverte, les fondations Soros soutiennent ainsi les indépendantistes catalans voulant faire sécession avec l’Espagne ou des associations prônant le communautarisme dans les banlieues françaises, histoire d’appuyer, faute d’autocritique,
sur les contradictions du modèle républicain. Or on sait combien il est important pour les États-Unis d’affaiblir les puissances européennes afin que leur Union reste un marché et ne devienne jamais une puissance en mesure de les égaler.

C’est à l’aune de cette grille de lecture en termes d’encerclement cognitif qu’il faut analyser la réelle influence d’une myriade de programmes – tel Young Leaders - qui pris indépendamment peuvent paraître inoffensifs et anodins. L’erreur serait d’ailleurs d’en faire des machines à fabriquer automatiquement des agents d’influence américains. Mais collectivement il s’agit d’autant de pierres posées savamment et avec patience sur le go-ban. Et il en va de même des bourses d’études dans les grandes universités américaines. Imitant l’américain mais avec ses atouts et ses contraintes - difficile pour la Chine de vendre le rêve de la liberté d’entreprendre aux étrangers -, le soft power chinois joue sur l’image doucereuse de Confucius via ses fameux instituts où l’on peut autant s’initier à la langue qu’à la cuisine, à la calligraphie ou au Tai Chi. Des instituts pas toujours bien vus sur certains campus américains où ils ont tenté d’interférer sur la tenue de certaines conférences du Dalaï-lama. En Belgique, la Sûreté de l’État a même demandé l’exclusion du directeur de l’institut Confucius de la VUB (Vrije Universiteit Brussel) de l’espace Schengen, expliquant que ses actions « soutiennent directement les activités d’espionnage et d’ingérence des services de renseignement chinois et que ses activités constituent donc une menace pour la sécurité intérieure et extérieure de l›État ». Une décision finalement cassée pour vice de forme. Encore plus douce est l’image de ces mignons pandas si gentiment prêtés aux pays occidentaux qui s’en montrent dignes. De même, les bourses et invitations se multiplient auprès des décideurs et experts de tous domaines sur fond d’opération « 1.000 talents »

Un article récent de la Direction Générale du Trésor de Bercy note au sujet de ce programme initié par le Parti Communiste Chinois en 2008 : « Initialement réservé aux « Chinois d’outre-mer », il s’est depuis ouvert à tout expert étranger, ainsi qu’aux entrepreneurs. Parmi les principaux secteurs ciblés : les biotechnologies et sciences du vivant, les industries high-tech et les technologies de l’information. Si certaines études pointent vers un succès réel en matière de recrutement de « talents » à destination de l’industrie, le bilan apparaît plus mitigé en matière de recrutement de profils académiques, même si certains pans de la recherche chinoise ont été presque intégralement « importés » depuis l’étranger via ce programme (c’est par exemple le cas du quantique).

Par ailleurs, depuis 2018, le programme est accusé par les autorités américaines de favoriser les transferts de propriété intellectuelle non sollicités vers la Chine. Le schéma consistant à recruter des « talents » pour de courtes durées chaque année, tout en les autorisant à conserver leur poste dans leur institution d’origine, fait désormais l’objet de contrôles aux États-Unis. Enfin, les grandes entreprises comme ZTE et surtout Huawei jouent un rôle majeur pour s’implanter sur les marchés mais aussi comme partie intégrante du soft power chinois. Ainsi en France : recrutement d’anciens ministres, mécénat culturel (Opéra de Paris) ou sportif (Roland Garros), etc.

Du classique mais avec les moyens de la Chine !

Bien entendu, le soft power n’est pas qu’une question de taille et de « petits » pays arrivent à tirer leur épingle du jeu. Dans la problématique du faible, l’encerclement cognitif consiste en effet, d’une part, à renverser le rapport de force par le développement de systèmes éphémères ou durables de contre-information et, d’autre part, à user de la force de frappe subversive des réseaux sociaux dans la recherche de la légitimité. Ainsi l’effet Greta Thunberg relève-t-il bien d’une forme de soft power.

Tout aussi intéressant est le discret soft power norvégien qui par petites touches fait de ce pays producteur d’hydrocarbures et grand utilisateur de pesticides pour l’élevage du saumon un modèle d’écologie. Une agilité qui s’appuie sur des ONG, un réseau médiatique efficace et un fonds souverain qui pèse plus de 1.000 milliards de dollars ! D’autres pays ont fait le choix d’un soft power minimaliste telle la Corée du Sud qui s’appuie sur un cinéma d’auteurs de très haut niveau, faisant oublier que cet étonnant pays de 50 millions d’habitants dépose à elle seule plus de brevets dans le monde que tous les pays de l’Union Européenne réunis. Et nous pourrions poursuivre notre panorama en passant par le Qatar ou « Cyber Israël ».

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