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En plein dossier Alstom, un décret pris à l'initiative d'Arnaud Montebourg et publié ce 15 mai renforce le patriotisme économique. Une bonne nouvelle pour Bernard Carayon , concepteur de la notion de "patriotisme économique", qui regrette néanmoins l'échec de la France en matière de politique industrielle.
L'affaire Alstom souligne un échec à la fois français et européen: nous n'avons pas de politique industrielle. Depuis le Traité de Rome, la concurrence a été sanctifiée dans l'intérêt des consommateurs au détriment des Etats et des entreprises. L'Europe est le seul territoire économique au monde ouvert et offert à nos concurrents sans qu'elle impose la moindre réciprocité. En matière de marchés publics (1000 milliards d'euros par an), le taux d'ouverture européen est de 90 % mais de 32 % aux États-Unis, 28 % au Japon et de 0 % dans les «pays émergés»! L'Europe est pour l'essentiel soumise aux normes techniques américaines comme à des législations protectionnistes, nord et sud américaines, russe et chinoise: Bruxelles interdit ainsi les aides publiques et les concentrations en contradiction avec tous nos concurrents, lancés depuis longtemps dans la constitution de géants industriels.
Les entreprises françaises n'appartiennent plus aux français.
Les entreprises françaises, par ailleurs, n'appartiennent plus aux français. 50 % des entreprises du CAC 40, dont 80 % des investissements sont dirigés vers l'Asie et l'Amérique, est détenu par des acteurs étrangers. L'absence de fonds de pension, la fiscalité exorbitante pesant sur la détention et la cession d'actions accélèrent le mouvement, alors que le niveau de l'impôt sur les sociétés encourage la délocalisation des sièges sociaux.
L'affaire Alstom était dès lors inévitable. L'industrie traditionnelle séduit moins les marchés que les produits de luxe et de communication dont la demande mondiale est très forte, notamment sur les marchés asiatiques. Même si Alstom a trois ans de chiffre d'affaires devant elle et un portefeuille nourri de superbes technologies, l'entreprise, sauvée du désastre en 2004 par Nicolas Sarkozy, au terme d'un bras de fer historique avec la Commission, n'a pas atteint la taille critique de ses concurrents et peine, sur le marché européen, où la demande énergétique corollaire d'une faible croissance s'essouffle.
Dans cette affaire, tout le monde est apparemment perdant. Le gouvernement d'abord, qui vient de publier un décret étendant la liste des secteurs où les investissements étrangers sont soumis à autorisation préalable. Ce texte, qui modifie le décret Villepin de 2005, n'est pas euro-compatible: les textes communautaires restreignent stupidement aux seuls secteurs de la défense et de l'ordre public les entorses à la liberté d'investissement. Ce texte, ainsi élargi, alimentera les contentieux que perdra inévitablement l'État. Enfin les investisseurs privés risquent de se détourner d'entreprises surveillées de près par l'État. Le «décret Montebourg» apparaît ainsi comme une tentative désespérée de maquillage d'une situation insoluble, tant que la doctrine de la concurrence de Bruxelles ne sera pas abandonnée, avant une révision des textes européens, dont les Allemands ne veulent pas.