Atlantico : Christian Harbulot décrypte la stratégie de guerre de l’information de l’Etat islamique
Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique et expert international en intelligence économique, décrypte pour Atlantico Comment faire raison garder à une société confrontée au terrorisme.
Multiplication des diffusions d'exécutions, mises en scène, menaces répétées... L'Etat islamique mène une campagne de communication particulièrement élaborée dans le but de terroriser les "Etats mécréants".
Atlantico : Bien plus qu’Al-Qaida, l’Etat islamique (EI) met en scène ses actes, jouant et surjouant la terreur et la sauvagerie. Quelle est la stratégie de l’EI en la matière ?
Christian Harbulot : La stratégie de l’EI a plusieurs dimensions. En Irak et en Syrie, ils mènent une guerre psychologique pour s’assurer le contrôle des populations dans les territoires qu’ils veulent conquérir (Libye et Afrique subsaharienne) ou qu’ils contrôlent déjà. Ils cherchent aussi à s’infiltrer par tous les moyens (et notamment en se glissant dans les flux de réfugiés là où ils le peuvent. Le Liban est à cet égard un pays test. L’armée libanaise a dû opérer des descentes dans des campements de réfugiés (deux millions de Syriens sont réfugiés dans ce pays) pour intercepter des propagandistes et démanteler des réseaux dormants de terroristes).
Par rapport au monde occidental, et en Europe en particulier, leur stratégie de guerre de l’information repose sur la provocation.
C’est ce que nous avons essayé de démontrer dans un rapport récemment mis en ligne sur le site de l’Ecole de Guerre Economique : La France peut-elle vaincre Daech sur le terrain de la guerre de l’information ?
Cette stratégie de provocation vise à la fois à attirer de nouvelles recrues en tentant de mettre en en scène les capacités de Daech à s’affranchir des puissances « mécréantes »mais aussi en jouant sur nos contradictions. Nous n’osons pas montrer leur barbarie. Et c’est une erreur. J’insiste lourdement sur ce point. Si en 1942, les démocraties libres avaient pu récupérer des images ou des photos des crimes de masse commis par les Einsatzgrupen allemands (commandos spécialisés dans l’extermination des juifs et des commissaires politiques soviétiques) sur le front de l’Est, auraient-elles pratiqué ce type d’autocensure. Je n’en suis pas si sûr. Rappelons pour mémoire que la revue Match avait publié en 1938 des photos prises clandestinement sur un camp de concentration allemand et un reportage sur les tortures qui y étaient déjà pratiquées.
Comment les démocraties ciblées par Daech peuvent-elles résister face à ce que vous appelez dans votre rapport la "guerre de l’information" ?
Nous sommes en guerre. Et notre problème est d’avoir enfin une stratégie claire et unifiée pour lutter contre nos ennemis. Autrement dit, il est temps de demander aux Etats-Unis s’ils veulent oui ou non l’élimination de Daech. Quand on sait ce que ce pays est capable de mettre en œuvre pour faire pression pendant des années sur un pays comme l’Iran par une politique de blocus, il est clair que nous attendons de ces mêmes Etats-Unis une efficacité équivalente pour bloquer les circuits financiers de Daech, imposer à ses alliés (Turquie, Arabie Saoudite et Qatar) de stopper toute aide logistique à cette structure terroriste. Ils en ont les moyens et ces pays ne sont pas en mesure de jouer le double jeu à l’égard de Washington. Notons au passage que des voix s’élèvent outre-Atlantique pour que l’administration Obama et les lobbies industriels qui la soutiennent abandonnent cette politique d’apprenti sorcier au Moyen Orient.
Que sait-on aujourd’hui de la puissance de frappe de ces terroristes sur le sol français ? Leurs méthodes sont-elles plutôt artisanales ou professionnelles ?
Daech n’est pas le Komintern et encore moins l’armée rouge. Ses moyens sont limités, et ses capacités de projection sur le territoire français sont à l’image du profil des éléments isolés qui passent à l’acte. En revanche, le vrai danger réside dans la symbolique de la provocation et des répercussions que cela peut entraîner au sein de la population française. Contrairement à ce que laisse entendre la communication de François Hollande, ce n’est pas la peur qui guette le peuple français. Il s’agit plutôt d’une colère sourde, rampante contre ce qu’ils estiment être une politique de deni ou d’omission. Il est temps de prendre des mesures pour éviter que cette colère, pour l’instant refoulée, ne se transforme en radicalité politique.