Depuis Mai 2004, l’alliance entre Air France et sa concurrente néerlandaise KLM Royal Dutch Airlines a donné naissance au premier groupe aérien européen: 1 groupe, 2 compagnies aériennes et 3 entreprises. Cette alliance naît alors que KLM se trouvait en mauvaise situation financière malgré plusieurs plans de restructurations et la volonté d’Air France de s’accaparer l’Asie car KLM possède 25% de son réseau orienté vers l’orient. Au travers d‘une offre publique d’échange sur les actions de KLM, Air France prenait le contrôle de KLM qui est elle-même devient actionnaire de la société française à environ 15%. Chaque compagnie aérienne a conservé son identité individuelle, son nom commercial et sa marque. Les 3 activités principales sont le transport de passagers, le fret, l’ingénierie et la maintenance. Les deux compagnies aériennes gèrent leurs propres opérations à partir de leurs hubs respectifs Paris-Charles de Gaulle et Amsterdam-Schiphol.
Air France-KLM possède le réseau de routes le plus étendu entre l'Europe et le reste du monde. Ensemble, Air France et KLM transportent plus de 77 millions de passagers par an. Ils exploitent 548 avions, ce qui leur permet de voler vers 318 destinations dans 118 pays. Présent sur tous les marchés clés, le Groupe bénéficie d'une couverture de risque naturelle car son chiffre d'affaires ne dépend d'aucun marché.
Les résultats financiers annuels 2019 présentés par le groupe le 20 février 2020 sont plutôt bons avec des recettes en hausse dans toutes les activités y compris chez la low cost Transavia ou dans la maintenance, même si la facture carburant fait baisser le bénéfice net. Avec l’épidémie du covid19 sans précédent par sa soudaineté, sa violence et son caractère universel qui touche aujourd’hui 170 pays et qui a entrainé le confinement de la moitié des 7,7 milliards d’homme, le résultat 2020 sera considérablement impacté avec des plans.
Après avoir traversé tout au long de son histoire, une panoplie de difficultés tant économiques que sociales, et cherchant moules solutions pour faire face à ces aléas de gestion, le 1er Mars 2019, l’État néerlandais a déclaré avoir franchi à la hausse le 26 février 2019, les seuils de 5% et 10% du capital et des droits de vote d’Air France – KLM et détenir 60 000 000 actions, représentant autant de droits de vote, soit 14,00% du capital et 11,91% des droits de vote d’Air France – KLM. Digne d'un fonds activiste, ce raid fit l'effet d'une bombe et jeta un coup de froid dans les relations entre la France et les Pays-Bas qu’il convient de scruter de plus près car révèle de distorsions au sein du groupe depuis bien de temps. Les informations reçues font étalage d’un rejet responsabilité de part et d’autres.
Air France-KLM, polémique sur les conflits d’intérêts
L’origine des débats actuels entre l’état français et l’état néerlandais trouvent leurs sources dans les débuts de l’alliance. Les objectifs étaient clairs au départ : sauver KLM, une compagnie aérienne en difficulté, étendre le réseau d’air France vers l’Asie afin d’offrir plus de destinations à sa clientèle et devenir à long terme la première compagnie aérienne mondiale. Avant leur alliance, le gouvernement néerlandais détenait 14% de KLM mais avec l’alliance, le groupe qu’Air France forme désormais avec KLM fait d’elle une société privatisée même si l'État français détient encore des parts importantes au sein du capital. La part de l’Etat néerlandais se trouve affecté ici mais la question à ce moment étant de sauver la compagnie, cela semblait plus juste pour tous.
En juillet 2017, Air-France - KLM a annoncé ouvrir son capital à deux sociétés étrangères, en l'occurrence une compagnie américaine, Delta Air Lines, et chinoise, China Eastern. Cet accord prévoit que les deux sociétés vont prendre chacune 10 % du capital d'Air-France - KLM via une augmentation de capital. La part de l'État Français passe de 17 % à 14 %. En contrepartie, Air-France - KLM prend une participation de 40 % dans Virgin Atlantic (avec Delta Air Lines à hauteur de 40 %, le groupe Virgin ne conserve que 20 %). Le but de cette manœuvre est également d'ouvrir le groupe vers les marchés asiatiques avec une clientèle d’affaires réputée très rémunératrice. KLM renouant avec les bénéfices devient une figure importante pour l’état néerlandais qui cherchera à mieux se positionner pour bénéficier des fruits de la manne.
Autre fait marquant dans l’histoire de l’alliance est la loi Florange du 29 Mars 2014 qui confère un droit de vote double à l’Etat français dans toutes les sociétés françaises. L’État Français achetait 5,1 millions d’actions soit 1,7% du capital pour pouvoir peser et jouer un rôle majeur dans la conduite des opérations stratégiques du groupe. Cela aura pour résonance une inquiétude chez l’Etat néerlandais car pour eux ces étapes ressemblent plus à un rachat de KLM par Air France qu’une fusion et donc tentera d’inverser les rôles.
Les conséquences de l'entrée surprise de l’Etat néerlandais au capital du groupe
Les discussions entre Air France-KLM et sa filiale néerlandaise autour de la reconduction de Pieter Elbers à la tête de KLM ont suscité l’effroi de l’état néerlandais quant à la place de la compagnie néerlandaise dans le groupe. Jugé de « KLM first », la présence de Pieter Elbers dans le groupe permet à l’Etat néerlandais d’être informé à temps réels de ce qui se trame à l’intérieur et asseoir la ou les stratégies qui leur permettront de préserver leurs intérêts. Malgré les difficultés, Pieter Elbers fut reconduit pour un mandat de quatre ans à la tête de KLM mais en devant accepter de partager sa fonction avec Anne Rigail, la directrice générale adjointe d’Air France-KLM. Ensuite, il a dû accepter la vision de Ben Smith, prônant une plus grande coopération entre Air France et KLM. Cette victoire minimale incita l’Etat néerlandais à user d’un autre stratagème pour avancer ces pions sur l’échiquier. Le 1er Mars 2019, l’État néerlandais a déclaré détenir 60 000 000 actions, représentant autant de droits de vote, soit 14,00% du capital et 11,91% des droits de vote d’Air France – KLM. Cette manœuvre habilement orchestrée, montre la volonté manifeste de rebattre les cartes afin de disposer d'une plus grande mage de manœuvre par rapport aux intérêts français.
Après avoir jugé cette opération d’ « inamicale » et « surprenante », Bruno le Maire invite son homologue néerlandais à la table des discussions pour comprendre et calmer les tensions. Il joue ainsi la carte de la diplomatie qui permettra d’éviter une énième tension après celle de la reconduite de Pieters Elbers. Déjà qu’il est difficile de gérer les tensions sociales chez Air France, une nouvelle polémique aurait pour conséquence de faire chuter le coût des actions. En cette période d’épidémie mondiale accompagnée de résultats décevants pour le groupe, il faut jouer la carte de l’apaisement.
Selon les premiers chiffres pour l’année 2020, publié par le groupe Air France KLM, la propagation du COVID-19 à l’échelle mondiale durant le premier trimestre 2020 a eu et continue d’avoir un impact majeur sur le trafic aérien mondial. Le trafic aérien vers la plupart des destinations d'Air France-KLM a été et sera considérablement réduit, et ce jusqu'à 95% du trafic normal pendant une durée indéterminée. En conséquence, le chiffre d’affaires du groupe s’élève 5 020 millions d’euros, soit une baisse de 15,5% comparé à l’année dernière, décomposé en -16,7% pour le Réseau, -11.0% pour la Maintenance et -1,6% pour Transavia. L’année 2020 s’annonce difficile pour le groupe. Sauver la compagnie est la chose la plus urgente à faire actuellement et c’est bien ce que l’Etat français a compris et après nous pourrions voir quelle réponse apporter à cette question du capital.
Air France-KLM et l’après covid
Cette entrée surprise de l’état néerlandais surtout en cette période de covid 19 où l’activité économique est au ralenti risque de durcir les relations entre la France et la hollande pouvant déboucher sur les replis nationaux avec des risques de réouverture de guerre économique dans l’espace UE. La mobilisation économique actuelle des deux états pour soutenir la compagnie aérienne ne saurait écarter le nœud de discorde entre les deux protagonistes dans le conseil d’administration du groupe. Depuis le début, les discussions butent sur la question de la parité entre l'État français et l'État hollandais au conseil d'administration d'Air France-KLM. Les Pays-Bas voudraient eux aussi avoir trois administrateurs au sein du conseil d'administration d'Air France-KLM, contre un seul aujourd'hui.
Le gouvernement français s'oppose fermement à cette demande, au motif que le poids de l'État néerlandais au sein du groupe est désormais plus important que celui de l'État français. Les Pays-Bas sont en effet présents à la fois dans le capital d'Air France-KLM mais aussi dans celui de KLM à travers deux fondations néerlandaises, alors que la France n'est présente de son côté que dans le capital d'Air France-KLM mais pas dans celui d'Air France. Pour Paris, le gouvernement néerlandais doit choisir : être au capital d'Air France-KLM ou à celui de KLM. Les discussions risquent d’être assez virulentes si aucune solution n’est admise sur les problématiques qui fondent l’alliance du groupe franco-néerlandais après la sortie de la crise sanitaire.
La crise identitaire du personnel néerlandais
Mais les problèmes ne se situent pas qu'au niveau du rapport de force entre les deux directions. Le site Air et Cosmos est explicite sur ce point :
"Dans des déclarations à la presse néerlandaise, le comité d'entreprise de KLM n'a pas hésité à évoquer qu'il serait préférable que KLM et Air France fassent désormais cavalier seule, chacune de son côté". La réponse d'Air France est défensive. Elle se fonde sur la lecture française du dossier :
- la situation de quasi faillite de la compagnie KLM lorsqu'Air France l'a rachetée.
- Le fait que KLM ait profité de l'accès au marché français qui est trois fois plus important qu'aux Pays-Bas.
- Le fait qu'Air France finance une part importante des investissements.
- KLM ne transfère aucune trésorerie vers Air France.
Il a fallu attendre le changement d'attitude de l'actuel PDG d'Air France pour que KLM accepte qu'il puisse assister au conseil d'administration de KLM. La partie hollandaise a toujours cherché à jouer au plus fin pour préserver ses propres intérêts. La crise du covid-19 est le tournant à prendre pour que les deux compagnies s'inscrivent dans une démarche plus constructive. Le management d'Air France qui porte encore la trace de son passé d'entreprise publique n'est assez pugnace pour l'instant. Christian Blanc fut le seul PDG qui avait compris la nécessité impérative de transformer l'état d'esprit de la compagnie. Il était prêt à y injecter une démarche d'intelligence économique au niveau stratégique. On ne lui laissa pas le temps de passer à l'acte. Sur ce point, la situation est restée inerte depuis son départ en 1997. Cet esprit "guerrier", d'autant plus nécessaire dans la période qui s'annonce, est absent de la culture d'entreprise d'Air France.
Gnalhey Ulrich Koffi