Johan CLAIRE

Entretien avec Johan Claire, Président de la commission de normalisation française sur le Management de l'innovation d'AFNOR et enseignant du MBA N2IE

Un grand merci à Johan CLAIRE, président de la commission de normalisation française sur le Management de l'innovation d'AFNOR, président fondateur d'Innovation Way et enseignant au sein du nouveau MBA Executif "Normalisation, Innovation et Intelligence Economique" (N2IE), d'avoir accepté de répondre à nos questions.

En qualité de Président de la Commission de Normalisation sur le Management de l’Innovation à AFNOR, quelle perception avez-vous du dispositif français de soutien à l’innovation pour les PME ?

L’écosystème est très dense pour accompagner les PMEs : Agences régionales d’innovation, Pôles de compétitivité, Technopole, CRITT, organismes de recherche publics et privés,… si bien qu’il finit par être difficile de s’y retrouver.  De plus on associe souvent le mot innovation aux « startups » et bien que certains acteurs soient en capacité d’accompagner des PME, ce n’est souvent pas ce qu’ils mettent en avant.

Enfin, la plupart des dispositifs de soutien sont exclusivement tournés vers le volet financier. Si une entreprise à un projet alors différentes structures peuvent l’aider à solliciter des financements (régionaux nationaux, européens, etc).

Pourtant, je pense qu’aujourd’hui le besoin des PME en innovation est avant tout un besoin d’appui méthodologique pour comprendre les processus d’innovation et faire entrer l’innovation dans leur quotidien. Je pense aussi que l’accès à ces ressources devrait être simple et lisible. Je crois donc qu’un certain nombre d’améliorations pourrait être envisagées en clarifiant le rôle des différents acteurs et en orientant plus les accompagnements sur l’évolution interne des entreprises que sur la réussite de projets ponctuels.

Selon vous, quels sont les enjeux majeurs auxquels la France doit faire face pour continuer d’être un pays reconnu et influent en matière d’innovation ?

La France, comme beaucoup de pays, fait le pari d’accoler « innovation » et « startups ». L’image de la France comme une nation innovante se construit donc depuis plusieurs années autour de la dynamique French Tech.

Je ne jugerai pas de l’efficacité de ce programme mais ce qui m’interroge c’est que tissu économique français est très largement constitué de PME. Dès lors on peut se demander pourquoi parier sur de potentielles nouvelles entreprises plutôt que de donner les moyens aux PME et ETI de devenir elles-mêmes plus innovantes.

Par ailleurs la quête de la Licorne produit aussi une guerre des territoires. Chaque région, chaque métropole aspire, par exemple, à faire naitre la prochaine étoile de l’intelligence artificielle. Ainsi, plutôt que de s’unir pour faire face à une compétition mondiale, les différents territoires se font alors concurrence entre eux et dispersent les moyens. 

Pour augmenter l’influence française en termes d’innovation, je pense qu’au-delà des actions menées pour renforcer la recherche technologique et soutenir les startups, des actions devraient être orientées spécifiquement vers la transformation des PME existantes et qu’une meilleure coordination interrégionale est nécessaire.

Vous avez participé activement à la norme ISO/56002 Système de Management de l’innovation et avez même été à la tête de la délégation française. Que tirez-vous de cette expérience ?

Participer à l’élaboration de l’ISO 56002 a été une expérience passionnante pour de multiples raisons. C’est d’abord un contexte extrêmement riche en apprentissage. Le groupe de travail était constitué de plusieurs dizaines d’experts représentants des pays de tous les continents. Dans tous les domaines est particulièrement en innovation, personne n’est omniscient et le prisme culturel de chacun amène des regards différents. Travailler aux cotés de tous les experts m’a donc beaucoup appris sur la perception et le fonctionnement des dynamiques d’innovation aux Etats Unis, en Argentine, en Chine ou encore au Japon.

Au-delà des apprentissages métier, j’ai également beaucoup appris en termes de négociation, d’influence et de lobbying. J’avais 26 ans lors de ma première participation et mon premier meeting a été très difficile. Je ne comprenais pas pourquoi je ne parvenais pas à faire entendre mes propositions. Avec le temps j’ai compris mes erreurs, appris à analyser plus finement les enjeux, à comprendre les positions de chacun et à faire en sorte d’orienter les débats de façon plus subtile pour atteindre mes objectifs.

La plupart des experts étaient aussi bien plus âgés que moi, il a donc aussi fallu que je parvienne à prouver ma valeur dans un environnement où le nombre de cheveux blancs est considéré par certains comme un indicateur de compétences … Comment faire valoir ses compétences dans un tel contexte ? Là encore il a fallu apprendre, travailler et faire preuve d’autant d’humilité que de malice !

Participer à ces travaux est donc extrêmement intéressant sur le plan personnel mais ça l’est également d’un point de vue professionnel pour mon entreprise car aujourd’hui la position au sein de la commission nationale et du comité international représente un argument majeur dans la stratégie commerciale d’Innovation Way.

On dit les Français mal préparés, mal organisés, très individualistes dans les comités normatifs internationaux. Selon vous, quels étaient les points faibles et les points forts de cette représentation française dans ce TC de l’ISO 56000 ?

La délégation française au sein de l’ISO TC 279 est composée d’une équipe particulièrement bienveillante et résolument tournée vers le bien commun. Notre ambition à tous est d’accompagner la professionnalisation des métiers en lien avec le management de l’innovation, d’apporter notre pierre à l’édifice, sans qu’aucun ne considère être le meilleur maçon. Nous sommes très complémentaires tant par nos profils personnels que par nos expériences professionnelles. La délégation compte des universitaires, des consultants, des cadres de grands groupes, des représentants d’organismes de recherche… tous passionnés d’innovation, nous appliquons ce qui est fondamental quand on cherche à innover : être curieux, ouvert et positifs !

Ce climat de respect et de bienveillance associé à une très forte compétences technique est un atout très important qui permet à la délégation française de disposer d’une capacité d’influence forte au sein du comité technique.

En revanche, le principal point faible que j’ai pu identifier est la faible capacité de notre délégation à diffuser les résultats de travaux dans notre propre pays. Nous disposons d’une expertise forte et avons participé à l’élaboration de référentiels qui auront, j’en suis convaincu, un impact majeur sur la pratique de l’innovation dans toutes les organisations. De nombreux pays se saisissent du sujet et font évoluer leurs programmes d’accompagnement mais en France nous, experts techniques, peinons à atteindre la sphère politique et à faire prendre conscience de la révolution qui s’annonce.

Ma grande crainte est de réaliser un jour avoir participé à créer une arme au service du développement économique et de la voire mieux utilisée par nos concurrents que par nous-même.

Votre expertise en innovation et en normalisation vous ont conduit à la création d’un serious game original. Pourriez-vous expliquer ce qui vous a poussé à cette création et quelle est sa finalité ?

Je crois beaucoup en l’importance de la notion de « Système de Management de l’Innovation » c’est-à-dire de penser que l’innovation ne tombe pas du ciel mais peut naitre et de développer si on met en place les pratiques adaptées au sein d’une organisation (entreprise, collectivité, etc).

En ce sens le je pense que le contenu de l’ISO 56002 est donc particulièrement intéressant mais il faut aussi reconnaitre que la forme d’un document normatif n’est pas vraiment user friendly ….

Les termes sont difficiles à appréhender pour des non-initiés, la forme est austère, et surtout on y décrit un système sensé intégrer de multiples interactions à travers un document parfaitement linéaire de 26 pages se lisant de haut en bas et de gauche à droite.

C’est ainsi que m’est venu l’idée de ce serious game : repartir du contenu de l’ISO 56002 en le rendant dynamique et plus agréable à appréhender. Le jeu s’appelle l’Année de l’Innovation et permet donc à des joueurs, seuls ou en équipe, de développer le système de management d’une entreprise sur une année avec pour objectif de créer le maximum de valeur. Je ne m’étendrais pas plus ici car c’est justement pour éviter des pages de textes linéaires que j’ai créé ce jeu. Je ne peux donc qu’inviter les personnes qui lisent ces pages à tester ce jeu de plateau ! Cela peut se faire gratuitement en visio en prenant RDV via le site d’Innovation Way.

Vous avez accepté de participer au Executive MBA N2IE de l’EGE. Sur quel(s) point(s) envisagez-vous de centrer votre intervention ?

J’interviendrai sur un module dédié au développement de Systèmes de Management de l’Innovation en entreprise. Nous utiliserons évidement le serious game pour appréhender la notion et les recommandations de l’ISO 56002 puis j’accompagnerai les participants dans la réalisation d’un audit du système de leur propre entreprise. Nous pourrons alors, de façon collective, identifier des actions concrètes pour améliorer la capacité à innover de chaque organisation. Chaque participant pourra ainsi renouveler régulièrement ces analyses pour engager une dynamique d’amélioration continue du Système de Management de l’Innovation de son entreprise.

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Johan Claire, est président fondateur d'Innovation Way qui fournit les outils et méthodes pour accompagner le développement de Systèmes de Management de l'Innovation en entreprise et dans les collectivités. Johan est également président de la commission de normalisation française sur le Management de l'innovation du groupe AFNOR. Il porte la voix française dans les travaux de normalisation internationaux sur la thématique des Systèmes de Management de l’Innovation.