L’alliance Greenpeace/Ripple : une guerre économique aux frontières de l’écologie

Dans l'arène financière contemporaine, les crypto-monnaies sont devenues des acteurs incontournables. Ces monnaies numériques, sécurisées par cryptographie, offrent une alternative décentralisée aux systèmes monétaires traditionnels. Leur ascension fulgurante est attribuable à leur capacité à faciliter des transactions rapides, sécurisées et transfrontalières, défiant ainsi les paradigmes économiques établis.

Au cœur de cette révolution se trouve Bitcoin, la première crypto-monnaie, qui a vu le jour en 2009. Conçue par un individu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, Bitcoin a introduit le concept de blockchain, un registre public immuable qui enregistre toutes les transactions. Sa nature décentralisée et sa résistance à la censure ont établi Bitcoin comme le précurseur et le standard de l'économie numérique.

La collaboration controversée entre Ripple et Greenpeace

La collaboration entre Ripple et Greenpeace a pris forme autour d'une campagne début 2022 visant à mettre en lumière l'impact environnemental de Bitcoin. En particulier, sa consommation énergétique considérable due à son mécanisme de validation des transactions, le Proof of Work (PoW). Baptisée “Change the code, not the climate”[i] cette campagne a suscité un débat houleux au sein de la communauté crypto, mettant en relief les tensions entre les impératifs écologiques et les valeurs fondamentales de décentralisation et de sécurité du réseau.

La controverse a été exacerbée par la révélation que le fondateur de Ripple, Chris Larsen, avait financé la campagne à hauteur de 5 millions de dollars[ii]. Le système développé par Ripple repose sur sa propre cryptomonnaie, le XRP. Lors d’un transfert d’euros à dollars, le protocole échange les euros contre des XRP, puis les XRP contre des dollars très rapidement et à moindre frais. Leur objectif est de proposer une nouvelle infrastructure financière aux banques et aux institutions pour accélérer leurs transactions. Là où Bitcoin se pose comme une concurrente du système bancaire et financier en apportant une solution décentralisée, XRP propose d’en améliorer l’efficacité. Cette information a jeté une ombre sur les motivations derrière la campagne, soulevant des questions sur un conflit d'intérêts où les préoccupations environnementales pourraient masquer une stratégie de dénigrement concurrentiel. 

L'impact écologique est devenu un terrain de lutte informationnelle, où les arguments environnementaux sont utilisés pour influencer l'opinion publique et les décideurs. Dans ce contexte, la campagne de Greenpeace, soutenue par le fondateur de XRP, a ciblé la consommation énergétique de Bitcoin, cherchant à catalyser un changement dans la perception publique et à positionner XRP comme une alternative écologiquement responsable.

La lutte informationnelle très controversée menée par Greenpeace

La campagne orchestrée par Greenpeace a été conçue pour attirer l’attention sur la consommation énergétique de Bitcoin. Elle vise à faire pression sur les mineurs de Bitcoin et sur les personnalités influentes de l’écosystème. Parmi les arguments présentés dans la campagne :  

. Bitcoin consomme plus d’électricité qu’un pays comme la Suède.

Selon l’étude de Cambridge[iii] mise en avant par Greenpeace, Bitcoin consomme entre 100 à 200 TWh, ce qui représente 0.1% de la consommation énergétique mondiale. A titre de comparaison, une étude du Galaxy Digital Mining[iv] a montré que Bitcoin consommait ainsi 8x moins que tous les distributeurs de boissons chaudes installés dans le monde entier, ainsi que 12x moins que les appareils en veille aux Etats-Unis. Ne prendre en compte que le chiffre brut de la consommation énergétique de Bitcoin, c’est passer à côté de son utilité. 

. La pollution générée par le minage de Bitcoin

La consommation énergétique de Bitcoin a été fréquemment critiquée comme étant une source de pollution environnementale. Cependant, une analyse plus nuancée révèle que Bitcoin pourrait en fait jouer un rôle dans la promotion de la transition énergétique. La majorité du minage de Bitcoin s’oriente vers l’utilisation d’énergies décarbonées, qui s’explique par le théorème du dernier survivant, développée par Grand Angle Crypto[v]. Cette grille de lecture suggère que seuls les mineurs utilisant une électricité peu chère et décarbonée pourront survivre. 

Le Bitcoin Mining Council regroupe 43,4% du réseau mondial du minage. Dans leur rapport d’août 2023[vi], le mix énergétique de l’industrie est composé à 60% d’énergie décarbonée.

De plus, le minage de bitcoin tend aujourd’hui à l’exploitation de surcapacités de production électrique des centrales existantes[vii]. Ainsi, cette énergie à bas coût qui serait gaspillée ou non exploitée génère une débouchée économique pour les producteurs d’énergie. L’exemple le plus éloquent est celui du parc des Virunga au Congo, exploité par l’entreprise française BBSG[viii]. Ici, le minage de Bitcoin a permis à la centrale hydroélectrique de devenir financièrement viable, contribuant ainsi au développement de l’économie locale, évitant ainsi le braconnage et la déforestation. Selon les estimations de BBGS, l’exploitation des surcapacités de production dans le monde permettrait largement de supporter le réseau Bitcoin. 

. Le changement de la Proof of Work (PoW) à la Proof of Stake (PoS)

Le Proof of Work est le mécanisme de consensus qui sécurise le réseau Bitcoin. Il nécessite que les mineurs résolvent des problèmes cryptographiques complexes pour valider les transactions et créer de nouveaux blocs. Cette méthode, bien que critiquée pour sa consommation énergétique, est défendue pour sa capacité à assurer la sécurité et la décentralisation du réseau, éléments jugés indispensables pour maintenir la confiance dans le système[ix]. Sur un réseau fonctionnant par PoS, sa sécurisation passe par la possession de tokens d’une crypto-monnaie, permettant ainsi de valider les transactions. Tandis qu’en PoW, une entité souhaitant attaquer le réseau doit contrôler plus de 50% de la puissance des machines installées, il suffit en PoS de posséder plus de 50% des tokens. Un système en PoS est donc moins sécurisé, faisant de ce système de fonctionnement une cible plus facile par une prise de contrôle.

Skull of Satoshi

Le 23 mars 2023, elle dévoile le « Skull of Satoshi »[x], symbolisant l’impact environnemental présumé de Bitcoin. Cependant, la stratégie a rencontré une résistance significative au sein de la communauté crypto, notamment sur Twitter. Tournée en dérision, de nombreux “ême” sont apparus pour se moquer de la campagne. Bien loin des préjugés, la communauté s’est montrée au contraire bienveillante, allant même jusqu’à saluer et féliciter le travail de l’artiste. 

À la suite de ces réactions, la rétractation publique de l’artiste Benjamin Von Wong[xi] derrière le Skull of Satoshi a marqué un tournant dans la campagne, révélant les failles dans la campagne. Pensant initialement que Bitcoin était une catastrophe écologique, il a fini par montrer son enthousiasme pour une exploitation plus décarbonée du réseau.

Bitcoin et la consommation électrique : Pollution ou transition énergétique ?

La consommation électrique de Bitcoin a été fréquemment critiquée comme étant une source de pollution environnementale. Cependant, une analyse plus nuancée révèle que Bitcoin pourrait en fait jouer un rôle dans la transition énergétique. La majorité du minage de Bitcoin s’oriente vers l’utilisation d’énergies décarbonées, en partie grâce au théorème du dernier survivant, qui suggère que seuls les mineurs utilisant une électricité bon marché et renouvelable pourront perdurer. Un exemple éloquent est celui du parc des Virunga au Congo, où le minage de Bitcoin a permis à une centrale hydroélectrique de devenir financièrement viable, contribuant ainsi au développement de l’infrastructure électrique locale.

Ainsi, bien que la campagne contre Bitcoin ait mis en lumière des préoccupations environnementales légitimes, elle a également révélé une méconnaissance de la complexité et de la dynamique de l’écosystème des crypto-monnaies. Bitcoin, loin d’être simplement une source de pollution, se révèle être un catalyseur potentiel pour la transition énergétique. Les mineurs de Bitcoin, en cherchant à exploiter les surplus d’énergie qui ne peuvent être autrement consommés, contribuent à la rentabilité et au développement des énergies décarbonées.

L’avenir de Bitcoin est donc intimement lié à la transition énergétique. En tant qu’industrie ayant rapidement adopté des énergies décarbonées, elle pourrait non seulement réduire son empreinte carbone mais également encourager l’innovation dans la production de ces énergies. Cela positionne l’industrie du minage de Bitcoin non pas comme un adversaire, mais comme un partenaire potentiel dans la lutte contre le changement climatique. 

 

Melvin Derradj,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)

Notes

[i] Site internet de la campagne : cleanupbitcoin.com

[iv] Fabiano, A., Rybarczyk, R., & Armstrong, D. (s. d.). On Bitcoin’s energy consumption. Galaxy. /

[v] Grand Angle Crypto. (2022, 10 juillet). La théorie du dernier survivant dans le minage crypto ! 💀 [Vidéo]. s

[vi] Global Bitcoin mining data review H1 2023. (2023, août). https://bitcoinminingcouncil.com.

[x] Singh, G. (2023, 23 mars). Artist Benjamin von Wong & Greenpeace unveil giant skull to highlight Bitcoin’s climate impact - Greenpeace USA. Greenpeace USA - We fight for a greener, more peaceful world. /

[xi] Asmakov, A. (2023, 27 mars). « Skull of Satoshi » artist says he was « Wrong » about Bitcoin mining. Decrypt.