La guerre de l'information dans la pensée stratégique chinoise

Par Valérie Niquet, Sinologue, Chercheur à l'institut des Relations Internationales et Stratégiques.

1 Guerre de l'information et RMA : l'analyse chinoise

2 La collecte de l'information comme essence de la guerre de l'information :

3 Le concept de guerre de l'information dans la stratégie chinoise classique :

4 Maoïsme et guerre de l'information

 

Par ailleurs, le contrôle de l'information constitue également une dimension essentielle de la guerre de l'information qui, dans le cas de la République populaire de Chine (RPC), se rattache à la pratique toujours en vigueur du contrôle totalitaire de la société. La guerre de l'information rejoint alors la guerre de propagande et la guerre psychologique qui font partie intégrante de l'héritage idéologique maoïste des stratèges chinois contemporains.


 

  1. Guerre de l'information et RMA : l'analyse chinoise

    Dans ce cadre, le sentiment de vulnérabilité et d'urgence des stratèges chinois est très sensible à travers leurs écrits. Les analystes chinois - qui dans leurs textes adhèrent à l'idée selon laquelle la supériorité en terme de puissance de feu dépend de la supériorité, et donc du contrôle de l'information s'inquiètent de l'avancée des Etats-Unis dans ce domaine, et considèrent que la première mission du programme de modernisation des forces chinoises doit être de se préparer à rattraper ce retard considérable (1). Les projets de modernisation de l'Armée populaire de libération prévoient, par exemple, la constitution d'unités réduites à haut niveau technologique qui permette de faire progresser le degré d'intégration des opérations, le but étant à moyen terme la maîtrise du C31 (Command, Control, Communications and Intelligence) et, au-delà, du C41 (Command, Control, Communications, Computers and Intelligence).


     

    Au mois de novembre 1996, des manoeuvres aéroterrestres dans le détroit de Jinan intégraient ainsi des opérations de brouillage et de contre mesures électroniques. De même, au delà de leur fonction d'intimidation, les manoeuvres dans le détroit de Taiwan au printemps de la même année étaient censées démontrer la capacité de l'APL à mettre en place des opérations intégrées des trois armes. Dans la conception agressive des rapports de force au sein du système mondial qui semble être celle des stratèges chinois aujourd'hui, la RPC, en dépit de son retard, ne peut se permettre de ne pas tenter au moins d'accompagner la vague technologique dont la dimension contemporaine de la guerre de l'information est l'un des éléments.

    Les capacités techniques et les moyens matériels restent encore réduits, en dépit des considérables efforts de la République populaire dans ce domaine depuis la fin des années 80 ; néanmoins, les stratèges chinois tentent

    d'élaborer une nouvelle théorie de la guerre qui prenne en compte toutes les dimensions de la RMA, dont fait partie la guerre de l'information. Si cette réflexion reste totalement coupée de la réalité du développement technologique du pays, elle se justifie, selon eux, par le fait que l'élaboration d'une nouvelle doctrine militaire se doit de précéder la révolution militaire à venir ; la Chine pourrait ainsi rattraper une partie de son retard en restant capable d'intégrer sans délai toute avancée technologique.

    La réflexion des stratèges chinois s'élabore donc à plusieurs niveaux. Un niveau purement théorique, qui développe une analyse de la RMA dans sa dimension historique : histoire de concept, chronologie, et qui tente de définir, sur le modèle américain, la nouvelle RMA par une intégration entre les nouvelles technologies de l'information et les capacités nouvelles de frappe, de plus en plus précises, à très grande distance.

    A un autre niveau, la réflexion stratégique publiée en Chine est consacrée à la nécessité de développer la capacité opérationnelle des unités de l'APL, s'appuyant sur la maîtrise des techniques les plus modernes de l'information (1).



  2. La collecte de l'information comme essence de la guerre de l'information :

    Dans le prolongement de la pensée stratégique d'inspiration léniniste de Mao Zedong, les stratèges chinois contemporains définissent la montée en puissance des capacités militaires comme le principal élément de la stratégie militaire en temps de paix. Dans ses écrits militaires, Mao Zedong préconisait en effet l'exploitation des temps de trêve ou de repos dans le contexte de la guerre prolongée pour développer les capacités d'action de l'Armée rouge.

    Dans le contexte de la Chine contemporaine, confrontée aux défits technologiques de la nouvelle RMA, le recueil de l'information de manière à accélérer la mise à niveau de l'APL, ou au moins de certaines de ses unités, constitue un objectif stratégique prioritaire. Le recueil de l'information peut, en particulier, s'effectuer au moyen des transferts de technologie que la COSTIND a pour mission d'encourager. Pour les analystes chinois, les nouvelles technologies de l'information sont par ailleurs moins délicates à obtenir - en dépit de certaines réticences - que les technologies nucléaires. La RPC tente ainsi de bénéficier de l'ambiguïté qui pèse sur les technologies duales qui dominent dans l'électronique et les télécommunications, tout en jouant de la force d'attraction que représente l'accès au marché chinois.

    Pour Pékin, l'objectif principal de cette stratégie de recueil de l'information doit être de permettre à l'APL d'accomplir un bond technologique majeur. C'est dans cet objectif que la Chine populaire a décidé d'encourager les investisseurs étrangers à participer au développement de l'industrie de défense en Chine, en autorisant notamment la création de joint-ventures fondés sur des transferts de technologie de la part de la partie étrangère. De même, elle souhaite que des sociétés étrangères participent à la foire aux industries électroniques de défense qui se tiendra en 1998 à Pékin .

    Cette collecte de l'information, qui constitue le premier élément d'une stratégie de la guerre de l'information en temps de paix, se traduirait en cas de conflit par une stratégie de contrôle de l'information dans le but d'aveugler ou de détruire les instruments de reconnaissance de l'ennemi pour lui interdire toute frappe utile. Rejoignant le concept de ruse cher aux stratèges chinois de l'antiquité, le recours à la désinformation et à la création de leurres doit également permettre, selon les stratèges chinois contemporains, de nuire efficacement à la capacité d'analyse de l'ennemi. Sur le champ de bataille électronique, le recours aux virus pourrait, par exemple, interdire à l'ennemi de traiter toute information, le menant à la défaite avant même d'avoir combattu selon les préceptes chers à Sun Zi.





  • Le concept de guerre de l'information dans la stratégie chinoise classique :

    De nombreux concepts auxquels les stratèges chinois ont aujourd'hui recours pour traiter de la guerre de l'information constituent, en fait, les fondements

    A un autre niveau le recueil de l'information c'est-à-dire l'espionnage, fait l'objet chez Sun Zi d'un chapitre entier qui insiste sur le caractère essentiel de cet aspect de l'art de la guerre. Chez les stratèges de la Chine ancienne, au delà de la trop coûteuse gloire des armes, c'est la victoire qui reste essentielle ; une victoire que le contrôle de l'information et le recours à la désinformation doit rendre la plus rapide, et donc la moins coûteuse possible.

    Ce troisième élément se rattache, par ailleurs, en Chine au contrôle totalitaire de l'Information qui pousse le gouvernement chinois, avec un succès mitigé, à tenter de contrôler les moyens de communication modernes que sont les télévisions par satellites et le réseau Internet. Pour un pouvoir comme le pouvoir communiste en Chine, le contrôle de l'information en tant que source de puissance reste en effet essentiel, tout en constituant un maillon de plus en plus faible de cette puissance, au fur et à mesure de l'ouverture du pays.

    En ce sens, on peut considérer que le contrôle de l'information en tant que moyen de contrôle de la société dans une Chine que ses dirigeants présentent toujours comme le dernier grand bastion du socialisme dans le monde, fait partie d'une stratégie globale intégrée à la guerre de l'information dont la dimension idéologique ne doit pas être négligée. Pour Pékin, la défaite de l'URSS peut en quelque sorte être considérée comme une défaite de l'ex-superpuissance communiste dans la guerre de l'information multidimensionnelle qui l'opposait aux Etats-Unis, de la guerre des étoiles à la guerre de propagande.

    Pékin semble ainsi voir dans la défaite soviétique l'occasion d'affirmer a contrario le triomphe idéologique du maoïsme, et de nombreux articles consacrés à la RMA et à la guerre de l'information en Chine se penchent sur la pertinence du concept maoïste de guerre populaire appliqué à la guerre de l'information.



  • Maoïsme et guerre de l'information

  • Par-delà l'ouverture économique du pays, le cadre d'analyse conflictuel dans lequel se situe Pékin par rapport au monde occidental - et tout particulièrement par rapport à la superpuissance

    américaine - impose à la Chine la maîtrise des outils de la guerre de l'information dans toute sa complexité. L'acquisition progressive des moyens technologiques nouveaux nécessaires aux applications pratiques des évolutions théoriques en cours constitue, ainsi, l'un des premiers enjeux de la stratégie chinoise contemporaines .